70 milliards de tonnes : c’est la quantité de phosphate qui se cacherait dans le sous-sol norvégien. Un tel gisement de ce matériau, indispensable pour l’agriculture, mais aussi les batteries et les panneaux solaires, pourrait devenir un atout stratégique majeur de l’Europe.

Les stocks identifiés de phosphorite dans le monde viennent de doubler. Les réserves planétaires de ce minerai, qui permet d’obtenir du phosphate, avaient été estimées à 71 milliards de tonnes par l’institut des études géologiques américain en 2021. Mais suite à des informations fournies par le service géologique norvégien en 2018, la société Norge Mining vient de découvrir un gisement de 70 milliards de tonnes de phosphate minéralisé dans le sud-ouest de la Norvège.

Cette nouvelle vient donc bouleverser la répartition mondiale de ce minerai essentiel. Jusqu’à aujourd’hui, les stocks connus de phosphorites se situaient principalement en Afrique du Nord et en particulier au Maroc qui dispose de 50 milliards de tonnes, mais également en Égypte (2,8 milliards de tonnes) ou en Algérie (2,2 milliards de tonnes). La Chine, premier producteur mondial, dispose, de son côté, d’une réserve de 3,2 milliards de tonnes.

Selon la compagnie minière qui a découvert le gisement, celui-ci pourrait subvenir aux besoins internationaux en phosphate pour la production d’engrais, de panneaux solaires et de batteries pour les 100 prochaines années.

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Un matériau essentiel pour l’agriculture et la transition énergétique

Aujourd’hui, la production de phosphate dans le monde est utilisée à 90 % par l’agriculture pour la fabrication d’engrais. Cet élément permet, en effet, de fournir à la plante l’un de ses macronutriments les plus précieux : le phosphore. Celui-ci joue un rôle important au niveau des cellules et de la photosynthèse, contribuant au développement et à la vigueur du plant.

Mais ce n’est pas tout. Le phosphate est également nécessaire à la fabrication de nombreux panneaux solaires. Enfin, cet élément est constitutif d’une technologie de batterie appelée LFP (lithium-fer-phosphate) qui tend à se généraliser grâce à un coût moins élevé que des technologies concurrentes, mais également un meilleur niveau de sécurité et surtout une plus grande durée de vie. De nombreux constructeurs comme Tesla ont opté pour cette technologie. Malgré tout, les besoins en phosphate devraient rester principalement liés à l’agriculture. Selon une étude parue dans la revue scientifique Nature, les besoins en phosphate pour les batteries ne devraient pas excéder 5 % de la production en 2050.

Néanmoins, le phosphate a aujourd’hui un défaut majeur : son processus de raffinage est très émetteur de CO2. Pour pallier ce problème et rendre cette opération plus vertueuse, la compagnie minière a annoncé vouloir mettre en place des solutions permettant de piéger et de stocker le dioxyde de carbone. Outre le phosphate, ce gisement comporte également du vanadium ainsi que du titane, des matériaux principalement utilisés dans l’industrie aérospatiale.

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Un atout stratégique considérable pour l’Europe

De par ses applications, la phosphorite est une matière première essentielle. C’est pour cette raison qu’elle a été intégrée dans une proposition de réglementation européenne sur les matières premières critiques, récemment présentée par la Commission Européenne. Aujourd’hui, l’Europe est dépendante des importations venant de la Chine, premier producteur mondial avec 85 millions de tonnes produites en 2022, ou encore de l’Irak et de la Syrie. De son côté, le Maroc est le second producteur mondial avec 50 millions de tonnes produites en 2022.

Avec ce gisement, l’Europe pourrait atteindre une indépendance stratégique et ne plus subir l’instabilité politique de plusieurs pays exportateurs. Le fondateur de Norge Mining, Michael Wurmser, a déclaré « lorsque vous trouvez quelque chose de cette ampleur en Europe, qui dépasse toutes les autres sources que nous connaissons, c’est considérable ».

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Désormais, la société Norge Mining cherche à obtenir les permis nécessaires pour débuter l’exploitation. Le ministre norvégien du Commerce et de l’Industrie, Jan Christian Vestre, a indiqué que le gouvernement souhaitait accélérer les procédures pour permettre la construction de la première mine le plus rapidement possible. La compagnie minière et le gouvernement norvégien auraient pour objectif de mettre en service la mine à l’horizon 2028.

Il reste désormais à convaincre l’Union européenne. Si la phosphorite rentre bien dans la catégorie des minéraux « critiques », elle ne fait pas partie des minéraux « stratégiques » qui peuvent bénéficier d’une accélération des procédures. Or, si l’importance du phosphate n’est pas remise en question, son actuelle abondance ne la rendrait pas stratégique aux yeux de l’Europe.