Une startup chinoise envisage de commercialiser une batterie grande comme une pièce de 1 centime d’euro. Elle pourrait produire de l’énergie pendant cinquante ans ou plus, sans rechargement. Bienvenue dans le monde des batteries nucléaires.

En ce début d’année 2024, la startup chinois Beijing Betavolt New Energy Technology Company Ltd a annoncé la mise au point d’une batterie nucléaire capable de rivaliser avec les batteries plus conventionnelles, comme les batteries lithium-ion, basées sur l’énergie chimique.

La batterie, baptisée « BV100 », peut se décrire techniquement comme un « générateur électrique à radioisotope », formulation un peu barbare qui signifie simplement qu’elle est destinée à produire de l’électricité à partir de la radioactivité. Ce concept n’est pas nouveau : il est utilisé dans les sondes spatiales destinées à explorer les tréfonds du système solaire, là où la lumière du Soleil devient très rare. C’était le cas par exemple de New Horizon qui nous a fait découvrir en 2015 de superbes images en haute définition de Pluton.

Un cœur de nickel et de diamant

La batterie de Betavolt utilise en son cœur une source de nickel-63. Cet isotope particulier de l’élément nickel est radioactif, c’est-à-dire qu’il se transforme peu à peu en un autre élément, tout en émettant des particules radioactives. En l’occurrence, le nickel-63 se transforme en cuivre non radioactif, en émettant au passage une particule dite « β- » (prononcez « Beta moins »), et cette particule n’est rien d’autre qu’un électron émis à très grande vitesse, et donc doté d’une forte énergie.

Le système est constitué d’un empilement de couches alternées de feuilles de nickel-63 de 2 µm d’épaisseur et de feuilles de semi-conducteur de diamant de 10 µm d’épaisseur. Et là se trouve l’innovation de Betavolt : la fine couche de diamant a pour fonction de convertir l’énergie cinétique des électrons émis par le nickel-63 en un courant électrique utilisable. Le fabricant avance un rendement de conversion de 8,8 %.

La cellule de base, appelée BV100 ressemble à un petit cube aplati, mesure 15 mm par 15 mm et a une épaisseur de 5 mm. D’après son constructeur, elle peut délivrer une puissance de 100 µW (microwatts). Sur la base de ces données, nous pouvons estimer que cela conduit à une densité volumique de puissance de l’ordre de 0,09 W/L ; par comparaison, une batterie lithium-ion se place à des valeurs entre 100 et 500 W/L. La batterie produit donc nettement moins d’énergie par unité de volume (et de poids).

Les différentes couches qui constituent la batterie BV100 / Image : Betavolt.

Une fiche technique farfelue ?

Avantage important : la période radioactive du nickel-63 est de 100 ans. Cela signifie que la quantité de radioactivité est divisée par deux en 100 ans. Au premier ordre, on peut supposer que la puissance de la cellule soit proportionnelle à la radioactivité restante. Cela implique qu’après cent ans, sa puissance ne serait diminuée que par deux. Après 10 ans, la cellule conserverait encore environ 90 % de sa puissance initiale, et encore 70 % après 50 ans.

Le fabricant indique « 3 300 MWh peuvent être stockés dans 1 g de batterie », toutefois cette valeur ne nous apparaît évidemment pas réaliste, et résulte probablement d’une erreur de traduction. En effet, 3 300 MWh correspondent ni plus ni moins à… 63 461 batteries de voiture électrique comme la Renault Zoé. Nous allons quand même tenter d’estimer l’énergie contenue dans cette minuscule batterie. Le fabricant indique qu’elle pourra produire pendant 50 ans, et nous avions estimé sa densité volumique de puissance à 0,09 W/L. Ces paramètres conduisent à une production totale cumulée de l’ordre de 40 kWh/L, et cette valeur est déjà énorme. Cela représente près de cent fois la capacité d’une batterie lithium-ion, et ce, sans recharge !

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Quelles applications pour une batterie nucléaire ?

Le concept est modulable, c’est-à-dire qu’il est possible de composer des batteries constituées de dizaines ou de centaines de cellules élémentaires, connectées en parallèle ou en série. L’objectif est de fournir des batteries de différentes tailles et de différentes puissances. Ainsi, Betavolt envisage de commercialiser une batterie de 1 W pour 2025.

Les applications visées sont l’aéronautique, les équipements IA et médicaux, les microrobots, et plus généralement tous les systèmes micro-électromécaniques. Betavolt envisage également d’appliquer sa solution dans les téléphones portables. De fait, ces systèmes seraient autonomes, et n’auraient pas besoin d’être rechargés pendant toute la durée de vie de la batterie. Un drone capable de voler sans se poser pendant 50 ans, serait-ce donc possible ? Betavolt promettrait-il un téléphone portable qu’il n’y aurait jamais besoin de recharger ? Peut-être, nous avons toutefois vu que sa densité énergétique n’était pas très élevée.

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Les principes de sécurité nucléaire condamnent-ils la solution ?

Le fabricant indique que les radiations ne sortent pas de la batterie et que le système est sûr. Rappelons en effet que d’après l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les particules β- sont arrêtées par une feuille de papier aluminium de quelques millimètres d’épaisseur. De plus, le nickel-63 se transmute en cuivre, non radioactif et sans danger. Le système est donc en principe sans danger, ce qui permet d’envisager son utilisation pour les dispositifs médicaux, comme le pacemaker ou les organes artificiels.

Cette sécurité ne vaut toutefois que tant que le nickel-63 n’est pas libéré dans l’environnement, avec le risque qu’il soit alors intégré dans les processus biologiques, par l’ingestion par exemple. Et c’est là que le bât blesse. La réglementation en France est sévère concernant les dispositifs basés sur la radioactivité. Par exemple, en 2012, l’Autorité de Sûreté a décidé le retrait progressif des détecteurs de fumée grand public basés sur une source radioactive, notamment d’américium. Ces dispositifs n’étaient pas dangereux, mais c’est leur gestion en fin de vie qui posait question. Sur cette base, la généralisation de batteries au nickel-63 serait-elle envisageable ?

La startup envisage des développements basés sur d’autres isotopes, comme le strontium-90, le promethium-147 ou le deutérium, permettant des rapports puissance / durée de vie différents, entre 2 et 30 ans. Notons qu’une durée de vie plus faible réduit les problématiques du déchet constitué par la batterie en fin de vie. Betavolt n’a pas communiqué non plus sur le prix. On peut supposer que les applications visées prochainement seront toutefois moins grand public qu’indiqué par la startup.

Consulter le communiqué de presse de Betavolt (en chinois).