Ancrée sur un éperon rocheux à 220 km à l’intérieur du continent antarctique, la station belge Princesse Elisabeth a la particularité d’être autonome en énergie. En plein milieu de l’été austral, la température n’y excède jamais -5°C et en hiver elle peut descendre à -40°C. Mais les 40 scientifiques qu’elle abrite y vivent et travaillent confortablement grâce à 9 éoliennes, 402 panneaux photovoltaïques, des capteurs thermiques, des batteries de stockage … et un style de vive sobre.

Quelque 70 stations de recherche sont implantées en Antarctique. Alors qu’elles sont majoritairement situées le long des côtes, la station belge Princesse Elisabeth, inaugurée en 2009 est la plus avancée à l’intérieur du continent. Elle peut héberger 40 personnes et les scientifiques du monde entier s’y succèdent en autarcie complète pour y mener des projets de recherche, essentiellement pendant l’été austral, lorsque le soleil luit 24 heures sur 24.

Isolation performante

Cette prouesse est d’abord rendue possible par la conception de l’édifice. Perché sur un éperon rocheux à 1.400 mètres d’altitude et 220 km à l’intérieur du continent Antarctique, elle a traversé bien des tempêtes polaires depuis son inauguration en février 2009 mais tient toujours bon. Conçue pour résister à des vents de 300 km/h, son squelette en bois est revêtu de neuf couches d’une épaisseur de 53 cm, qui se complètent pour l’isoler du froid polaire. Son coefficient de transmission thermique (U) affiche une valeur de 0,07 W/m²K. Par comparaison, le coefficient U moyen d’une maison passive ne dépasse pas 0,15 W/m².K.

Les fenêtres de la station sont constituées de deux ‘triple vitrages’ entre lesquels se trouve un filtre solaire et un ‘vide d’air’ de 400 mm. Le verre en contact avec l’extérieur est armé et la pression entre les deux vitrages est réglable via une soupape.
On a soigneusement réfléchi à la taille et à l’orientation des fenêtres par rapport au soleil. Contrairement à une maison passive construite sous nos latitudes, la surface des fenêtres n’est pas concentrée du côté le plus ensoleillé. En effet, durant les mois d’été, l’ensoleillement 24 heures par jour est tellement important qu’avec l’isolation performante, il pourrait provoquer des surchauffes.  Les plus grandes fenêtres de la station sont donc placées du côté sud (qui correspond au nord dans notre hémisphère). Elles sont aussi disposées relativement bas, à hauteur d’assise, pour limiter la surchauffe. Et comme les chercheurs passent le plus clair de leur temps assis lorsqu’ils travaillent dans la station, ils peuvent aussi profiter de la vue sur les vastes étendues glacées.

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Le chauffage des espaces intérieurs est complété par la chaleur qu’émettent les appareils électriques et l’activité humaine, conformément aux principes de la maison passive.

La station est totalement étanche à l’air, son système de ventilation étant comparable à celui d’une maison passive. Trois groupes l’alimentent en air frais à travers des filtres qui le débarrassent des impuretés et des polluants. L’air extérieur est d’abord réchauffé par l’air extrait dans un échangeur de chaleur à contre-courant, puis humidifié par un humidificateur électrique jusqu’à une hygrométrie d’au moins 15% de façon à garantir le confort des occupants, une ambiance agréable et la protection des équipements électroniques.

Pour limiter la consommation d’énergie au minimum, les concepteurs du bâtiment ont évidemment opté pour des appareils électroménagers peu gourmands : réfrigérateurs et congélateurs A+++, tables de cuisson à induction, lampes LED, etc.

Une station « zéro émission »

Mais c’est évidemment par son alimentation en énergie d’origine exclusivement renouvelable que la station Princesse Elisabeth se distingue des autres bases scientifiques polaires, lesquels sont généralement équipées de générateurs diesel très polluants.

Au total 402 panneaux photovoltaïques y ont été installés dont 114 sont fixés les parois de la station et orientés vers tous les points cardinaux pour capter au maximum les rayons solaires. Les 288 autres modules sont placés sur les garages et au sol, tournés vers le nord. Ces capteurs ont un rendement de 16 %, pour une puissance totale de 52 kW. Pour les rendre résistants aux conditions extrêmes de l’Antarctique, les cellules PV sont protégées par un verre renforcé et par un film spécial, le tout étant hermétiquement enfermé.

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9 éoliennes innovantes

En outre, neuf éoliennes d’une hauteur de 9 mètres et d’une puissance de 6 kW se dressent au nord du site. Leur conception est particulièrement robuste pour affronter les conditions polaires. Contrairement aux turbines classiques, ces éoliennes ne comportent pas de transmission par engrenages mais disposent d’un rotor à autorégulation : si le vent est trop fort, l’éolienne s’arrête automatiquement. Le rotor est équipé de trois pales constituées d’un matériau thermoplastique souple. Il est relié en direct au générateur, sans réducteur de vitesse afin de minimiser les pertes d’énergie.
Pour bénéficier au maximum des vents faibles comme des vents forts, ces machines bénéficient d’une innovation : les pales peuvent se replier à l’aide d’un triangle de commande, suivant un angle déterminé. Par vent léger, il est d’environ 5°, mais en cas de tempête, il se fixe à 45°, ce qui correspond à une réduction de moitié du diamètre du rotor, avec un effet direct sur la vitesse de rotation.

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Smart grid et batteries

Un réseau intelligent (smart grid) est au cœur du système énergétique de la station. Elément clef de son fonctionnement “Zéro Emission”, il est géré par un ordinateur pilotable à distance. Il permet de gérer l’énergie disponible, de hiérarchiser les demandes en fonction de leurs priorités et distribuer efficacement l’énergie aux différents utilisateurs.
Le but est d’utiliser directement l’énergie produite. Ce n’est qu’en cas d’excédent qu’elle est stockée dans des batteries. La raison est double : le stockage entraîne toujours des pertes et les cycles de charge et de décharge réduisent leur longévité. Comme les batteries de la station pèsent 15 tonnes, il vaut mieux ne pas les remplacer trop souvent.
Le noyau technique de la station abrite deux groupes de batteries au gel, dont la capacité totale est de 2.200 kWh. Lorsqu’elles sont entièrement chargées, l’électricité excédentaire doit être évacuée. Elle est alors utilisée par exemple pour produire de l’eau potable par fonte de la neige.

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Recyclage et vie sobre

Les chercheurs de la Station Princesse Elisabeth sont les premiers habitants du pôle sud à réutiliser leurs eaux usées grâce à un procédé semblable à celui qu’utilisent les astronautes. Bien que potables, les eaux recyclées ne sont utilisées que pour les toilettes, les douches et la laverie. Pour le chauffage de l’eau sanitaire, la station est équipée de 2 groupes de capteurs solaires thermiques à tubes sous vide. Le premier se trouve sur le toit des garages. Il alimente l’installation de fonte de la neige. L’eau produite est stockée dans un réservoir qui récolte également l’eau recyclée. Un deuxième groupe de capteurs thermiques est intégré dans la toiture de la station. Il est chargé de porter l’eau à la température voulue pour la distribuer dans la salle de bains, la cuisine et la buanderie. Si la production d’eau chaude par les capteurs est insuffisante, l’appoint est assuré par l’installation électrique.

Pour économiser au maximum l’énergie, les scientifiques occupant la station acceptent de vivre sobrement. Ils ne se douchent par exemple qu’une à deux fois par semaine, explique Kate Winter, une chercheuse de l’université de Newcastle qui a fait un séjour dans la station en 2018. L’utilisation de l’électricité est soumise à une hiérarchie stricte : le service médical est prioritaire, vient ensuite le bureau du commandant, les alarmes incendie, les détecteurs de fumée, et la connexion satellite qui permet de maintenir un lien avec le reste du monde. Faire sa lessive est donc loin d’être une priorité. « Nous venons en Antarctique pour expérimenter l’un des environnements les plus fabuleux au monde, pas pour le polluer », nous confie Kate Winter qui s’accommode très bien de cette discipline.

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