L’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique a été divulguée, et elle a eu l’effet d’une douche froide en ce début d’année. « Fin des énergies renouvelables en France ! », « Manque de respect pour la filière ! », les critiques n’ont cessé de pleuvoir. Mais qu’en est-il réellement ? Que dit le texte ?

Resituons le contexte. Le 8 janvier dernier, le gouvernement rend public un avant-projet de la loi de souveraineté énergétique. Ce dernier devait être présenté en conseil des ministres début février, puis présenté au Parlement au cours de l’année 2024. Ce texte propose une modification du Code de l’énergie, portant sur deux aspects : d’une part la formulation des objectifs de la politique énergétique nationale (Titre I), et d’autre part l’information et la protection des consommateurs d’énergie, notamment vis-à-vis des démarches commerciales agressives, et en particulier dans un contexte de crise du prix de l’énergie (Titre II).

C’est la première partie de l’avant-projet de loi qui nous intéresse dans cet article. Elle a pour objectif de modifier l’article L100-4 du Code de l’Énergie concernant deux aspects : les objectifs énergétiques généraux d’une part et les moyens de production d’autre part. Et ce sont bien ces deux aspects qui ont suscité un tollé. Regardons davantage en détail.

Des objectifs moins contraignants ?

Le tableau ci-dessous récapitule les modifications les plus importantes proposées en ce qui concerne les objectifs généraux de la politique énergétique.

Texte en vigueur

Modification proposée

Article L100-4 I.1°

Réduire les émissions de gaz à effets de serre par rapport à 1990 de 40 % en 2030

Neutralité carbone à l’horizon 2050

Article L100-4 I.1°

Tendre vers une réduction de 50 % entre 1990 et 2030 (en excluant les variations associées à l’usage des terres et à la foresterie)

Article L100-4 I.2°

Réduire la consommation énergétique finale par rapport à 2012 de 7 % en 2023, 20 % en 2030 et de 50 % en 2050

Article L100-4 I.2°

Tendre vers une réduction de la consommation énergétique finale par rapport à 2012 de 7 % en 2023, 30 % en 2030 et de 50 % en 2050

Article L100-4 I.3°

Réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles par rapport à 2012 de 40 % en 2030

Article L100-4 I.3°

Tendre vers une réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles par rapport à 2012 de 45 % en 2030 et 60 % en 2035.

Le texte évoque des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la consommation énergétique finale et de la consommation des énergies fossiles. De manière générale, on constate que le gouvernement propose de rendre ces objectifs plus ambitieux, mais, dans le même temps, change la formulation de « réduire » vers « tendre vers une réduction ».

Il est certain que cette nouvelle formulation est en première approche moins contraignante. Il n’en reste pas moins qu’elle exige a minima du gouvernement une obligation de moyens vers ces objectifs. Par ailleurs, le gouvernement indique que ces objectifs sont dorénavant harmonisés avec la réglementation européenne « fit for 55 », déclinée par la directive 2023/19791 du Parlement européen et du conseil du 13 septembre 2023.

Suppression des objectifs chiffrés de sources d’énergie renouvelable

Le tableau ci-dessous récapitule certaines des modifications proposées en ce qui concerne le mix énergétique :

Texte en vigueur

Modification proposée

Pas de mention de capacité nucléaire

Article L100-4 II.2°

Maintenir une puissance installée de capacité électronucléaire d’au moins 63 GW, avec une disponibilité  + objectifs de disponibilité.

Article L100-4 III.1°

Nouvelles constructions : au moins 9,9 GW engagés en 2026, et 13 GW engagés au-delà

Pas de mention des capacités pilotables hors nucléaire

Article L100-4 II.3°

Maintenir la puissance installée Conversion progressive à des combustibles bas-carbone

Article L100-4 I.4°

La part des énergies renouvelables doit être portée à 23 % en 2020 et 33 % en 2030. Mention de l’énergie hydraulique, des éoliennes et de l’agrivoltaïsme.

Article L100-4 II.3°

Assurer un déploiement des énergies renouvelables permettant d’assurer la couverture des besoins en électricité en sus des moyens nucléaires et pilotables hors nucléaire. Favoriser le développement de flexibilité telles que la modulation de la consommation et de la production d’énergie électrique et le stockage d’énergie.

Article L100-4 I.8°

Autonomie énergétique et un mix à 100 % d’énergie renouvelable pour les collectivités d’outre-mer à l’horizon 2030.

Article L100-4 II.6°

Mix énergétique à 100 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2030 et l’autonomie énergétique à l’horizon 2050.

Article L100-4 I.9°

Multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération à l’horizon 2030

Article L100-4 II.4°

Viser une part de 45 % de chaleur et de froid renouvelable dans la consommation de chaleur et de froid en 2030 et de 55 % en 2035.

Article L100-4 I.10°

Hydrogène bas-carbone à environ 20 % à 40 % des consommations totales d’hydrogène à l’horizon 2030

Plus de mention de l’hydrogène

Le changement de formulation de l’avant-projet de loi est significatif. D’un objectif chiffré fixé à une valeur 33 % de part d’énergie renouvelable pour 2030, tout objectif chiffré est supprimé. Dans le même temps, le texte sanctuarise une puissance installée nucléaire de 63 GW. L’émoi de la filière renouvelable peut se comprendre, notamment lorsque les modifications de l’avant-projet de loi se présentent sous une forme quelque peu technocratique : « Les 4° à 11° du I et le Ibis sont supprimés. ».

Quoi qu’il en soit, si l’on regarde plus en détail, on s’aperçoit que l’avant-projet de loi ne fait que sanctuariser un socle d’approvisionnement en source d’énergie pilotable, et notamment explicitement nucléaire, et consacre le fait que tous les besoins supplémentaires devront être couverts par des énergies renouvelables.

En France, environ 20 % de la consommation finale d’énergie primaire provient aujourd’hui du secteur nucléaire. Sous l’hypothèse d’une division par deux de cette consommation finale, et, au premier ordre, une production nucléaire constante, la part de l’énergie nucléaire augmenterait à 40 %. Resterait-il 60 % du mix disponibles pour l’extension des énergies renouvelables ? Il est difficile de répondre à cette question, car la réponse dépend d’une part de l’électrification des usages lancée massivement par ailleurs (transport électrique et pompes à chaleur) et de la réduction effective de la part des énergies fossiles. Il est toutefois possible d’affirmer que le gouvernement n’a pas décidé de l’arrêt des énergies renouvelables.

À lire aussi L’éolien et le solaire remplacent-ils vraiment le nucléaire en France ?

Quelles seront les suites ?

Depuis, le ministère de l’Économie a récupéré la compétence de l’Énergie, et un nouveau texte intitulé « saisine rectificative au projet de loi relatif à la souveraineté énergétique » aurait été communiqué depuis le 17 janvier. Dans ce texte, tout le Titre I de l’avant-projet de loi aurait été supprimé.

Il va de soi que mettre l’accent sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique, et notamment du réseau électrique par le biais de moyens pilotables, n’est pas une mauvaise nouvelle. Toutefois, le renversement proposé de la formulation de la loi laisse toutefois des zones d’ombres qui rendent difficile à anticiper les conséquences pratiques de ce nouveau texte, en particulier en termes d’emploi. Nous suivrons tout cela avec une grande attention.

Consultez le texte de l’avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique ↗️

Consultez l’article L100-4 du Code de l’Énergie ↗️