Sept mois seulement après sa mise en service, la centrale à gaz de Landivisiau en Bretagne approche déjà son quota annuel d’heures de fonctionnement initialement prévu. Le site vient palier l’énorme déficit de production électrique de la péninsule bretonne, la région ayant refusé l’installation d’une centrale nucléaire il y a 40 ans sans déployer suffisamment de moyens renouvelables et de stockage.

Elle ne devait fonctionner que 5 000 heures chaque année, soit 57 % du temps. Sept mois après son inauguration le 31 mars 2022, la centrale à cycle combiné gaz (CCG) de Landivisiau (Finistère) affiche déjà près de 4 300 heures au compteur, selon nos calculs.

Le site fonctionnerait finalement à 85 % du temps depuis sa mise en service, d’après Xavier Rouzeau, le directeur de la production électrique chez TotalEnergies, qui exploite la centrale. Dans une interview accordée au quotidien local Le Télégramme, le responsable admet même un facteur de charge de 95 % en septembre 2022. Ce niveau de fonctionnement inhabituel pour une centrale à gaz en France serait la conséquence de l’indisponibilité exceptionnelle du parc nucléaire, explique-t-il.

Du gaz pour compenser la variabilité des renouvelables ?

Le site de Landivisiau devait à l’origine « compenser la fluctuation de la quantité d’électricité produite par les centrales éoliennes et solaires », tel que l’indiquait en juin 2019 Xavier Caïtucoli, l’ex-directeur de Total Direct Énergies, devenue aujourd’hui TotalEnergies. Une mission qui ne correspond pas à l’exploitation actuelle de la centrale.

En observant la production électrique bretonne sur différents jours à travers l’outil Eco2mix développé par RTE, il est possible de constater que les 446 MW de puissance déployés par la centrale à gaz de Landivisiau n’ont aucune forme de synchronisation avec la production solaire et éolienne. Le site semble fonctionner au plus proche de sa puissance maximale, quasiment en continu, indépendamment des énergies renouvelables.

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La Bretagne dépendante à 80 % des imports

Avant l’inauguration de la centrale de Landivisiau, la Bretagne assurait 80 % de sa consommation électrique à partir d’imports depuis les régions voisines. Sa petite production locale provenait en 2020 à 50 % de l’éolien, à 21% de moyens thermiques, 14 % de l’hydraulique (via l’usine marémotrice de la Rance), 9 % des bioénergies et à 6 % du photovoltaïque. Le site de Landivisiau est censé réduire de 20 % la dépendance de la région, au prix d’une hausse considérable des émissions de CO2.

À 490 g de CO2e/kWh sur l’ensemble du cycle de vie, le gaz fossile est l’un des moyens de production d’électricité les plus carbonés de la planète. Son intensité est certes moins élevée que celle du charbon (820 g CO2e/kWh) et du fioul (650 g CO2e/kWh), mais nettement au-dessus de l’éolien (11 g CO2e/kWh), du solaire (45 g CO2e/kWh) et du nucléaire (12 g CO2e/kWh).

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La centrale nucléaire de Plogoff aurait permis à la région d’exporter de l’électricité

Si la Bretagne sollicite aujourd’hui une nouvelle centrale à gaz (en plus des installations thermiques existantes), c’est notamment en raison de sa vive opposition au nucléaire et sa lenteur de déploiement des énergies renouvelables couplés à des moyens de stockage.

Il y a quatre décennies, la région s’insurgeait farouchement contre l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff. La mobilisation fut si vive qu’elle fit définitivement abandonner le projet en 1981, une première dans le plan de nucléarisation de la France. Le site prévoyait 4 réacteurs d’une puissance unitaire de 1 300 MW, qui auraient permis à la région d’être non seulement autonome, mais exportatrice d’électricité. Car les pics de consommation dépassent rarement 4 000 MW en Bretagne, même au cœur de l’hiver.

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S’opposer à l’atome sans investir suffisamment dans les renouvelables

Aujourd’hui, la Bretagne consomme majoritairement de l’électricité d’origine nucléaire importée, qu’elle n’a pourtant pas souhaité produire sur son sol. S’il est tout à fait possible de satisfaire ses besoins en électricité sans faire appel à l’atome et aux énergies fossiles, cela nécessite des investissements colossaux dans les renouvelables et les systèmes de stockage.

Une stratégie qui n’a pas été réalisée à temps afin d’éviter la construction d’une nouvelle centrale à gaz fossile, en pleine prise de conscience sur les effets du réchauffement climatique. Chaque heure de fonctionnement à pleine puissance, le CCG de Landivisiau relâche près de 218 tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

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