Avec le développement massif des énergies renouvelables, et donc des interconnexions électriques, les lignes haute tension à courant continu, aussi appelées HVDC ou CCHT, connaissent un regain d’intérêt. Car ces lignes sont capables de transporter de l’électricité sur de très grandes distances, sous terre ou sous la mer, en minimisant les pertes. Voici comment elles fonctionnent.

HVDC est l’acronyme de « High Voltage Direct Current », ou « Courant Continu Haute Tension » (CCHT) en français. Il désigne une technologie de transport d’électricité sur de très grandes distances, souvent en milieu inhospitalier (en tunnel ou sous la mer). Ces lignes sont relativement peu fréquentes en comparaison aux lignes haute tension classiques à courant alternatif. Une trentaine de liaisons HVDC de plus de 900 km sont actuellement en service sur Terre.

Mais pourquoi utiliser du courant continu quand le courant alternatif est la norme depuis plus de 100 ans sur la totalité des réseaux électriques de la planète ? Dans cet article, nous revenons sur l’intérêt de ces lignes à courant continu, et pourquoi leur rôle pourrait gagner en ampleur avec le développement massif des énergies renouvelables.

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Comment fonctionne une ligne HVDC ?

Dès les premières années du développement de l’électricité, une véritable « guerre des courants » a été menée pour savoir lequel, du courant alternatif ou du courant continu, deviendrait la norme. Thomas Edison, fervent défenseur du courant continu, était parvenu, en 1884, à alimenter 10 164 ampoules dans un rayon de 1,5 km autour de son générateur à courant continu basé à Pearl Street, à New York. Mais Thomas Edison ne parvenait pas à étendre son réseau sur une plus grande distance, car le courant continu possède un défaut qui rend son déploiement beaucoup plus complexe que le courant alternatif : il est impossible d’abaisser ou d’augmenter directement sa tension avec un transformateur (un convertisseur DC/DC électronique est nécessaire).

Or, augmenter la tension du courant permet d’en réduire l’intensité, et donc de minimiser les pertes par effet Joule [1]. À l’inverse, la tension d’un circuit en courant alternatif peut être facilement modifiée grâce à l’utilisation d’un transformateur. C’est grâce à cela qu’une ligne électrique de 175 km a pu être construite en Allemagne dès 1891 entre la centrale hydroélectrique de Lauffen sur Neckar et la ville de Francfort avec seulement 25 % de pertes. C’est notamment grâce à cet avantage que le courant alternatif finira par se démocratiser partout dans le monde.

Le courant alternatif, inadapté aux lignes souterraines ou sous-marines

Néanmoins, dans certains cas de figure, l’usage du courant alternatif a, lui aussi, des limites. Lorsque des lignes destinées au transport de courant alternatif sont enterrées ou installées sous l’eau, elles sont sujettes à l’effet capacitif [2]. Celui-ci a pour conséquence de réduire la puissance transitée et croît avec la longueur et la tension d’utilisation.

À cet effet s’ajoute l’effet de peau, un phénomène électromagnétique qui fait qu’à haute fréquence, le courant a tendance à ne circuler qu’en surface des conducteurs (ce phénomène existe pour tous les conducteurs parcourus par des courants alternatifs). Le courant continu, lui, n’est pas soumis à ces deux effets, ce qui le rend beaucoup plus adapté au transport d’électricité sur de longues distances dans un milieu souterrain ou sous-marin.

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Ainsi, les premières lignes HVDC sont apparues en Union Soviétique en 1951, entre les villes de Moscou et Kachira. Aujourd’hui, il existe des lignes HVDC un peu partout dans le monde. Parmi celles-ci, on peut citer l’ALEGrO, qui relie la Belgique à l’Allemagne, la Viking Link, entre le Danemark et le Royaume-Uni, ou encore l’IFA2 entre la France et l’Angleterre.

De quoi est composée une ligne HVDC ?

Concrètement, ces lignes HVDC sont équipées de part et d’autres de redresseurs abrités dans d’imposants hangars, qui transforment le courant alternatif en courant continu, et vice et versa. Si ces infrastructures ont un coût élevé, elles ont de nombreux avantages. : elles permettent de transférer de l’énergie entre deux réseaux électriques alternatifs non synchrones et ont un rôle de stabilisation des réseaux de distribution en courant alternatif. Au Japon, par exemple, des lignes HVDC relient des îles ne disposant pas de la même fréquence, permettant ainsi de transférer de l’énergie sans provoquer d’instabilité sur les deux réseaux.

Les lignes et pylônes des lignes haute tension courant continu ont une apparence légèrement différente des lignes classiques en courant alternatif. Elles supportent deux câbles (un pour le + et l’autre pour le -), voire un seul câble lorsque le retour est effectué par la terre, contrairement aux lignes AC qui supportent au moins trois câbles (un pour chaque phase).

Une ligne HT en courant alternatif 230 kV (à gauche) et HT à courant continu 450 kV (à droite) au Québec / Image : Azumanga1 – Wikimedia (qualité améliorée via l’IA Pixelcut).

Où se trouvent les lignes HVDC dans le monde ?

Le site Openinframap propose une carte des réseaux électriques de la planète, où figurent notamment les lignes haute tension à courant continu. Colorées en violet, ces dernières se démarquent nettement. Il est par exemple possible de constater que la quasi-totalité des liaisons électriques sous-marines utilisent la technologie HVDC. → Lire notre article sur la carte Openinframap

Où se trouvent les lignes HVDC dans le monde ?

Les lignes HVDC, un atout pour la transition énergétique

La transition énergétique actuelle modifie en profondeur notre façon de produire et même de consommer de l’électricité. Jusque très récemment, on tentait de mettre en place de gros centres de production d’électricité comme des centrales nucléaires à proximité des grands pôles de consommations. Mais le développement des énergies renouvelables entraîne une multiplication des points de production à faible niveau et potentiellement éloignés des zones de consommation. C’est notamment le cas avec le développement de l’éolien offshore. De plus, la production électrique issue des énergies renouvelables (dans une moindre mesure, l’hydroélectricité) est, par nature, variable.

Ainsi, le développement d’un réseau électrique permettant le transport d’électricité entre différentes régions ou différents pays devient un atout considérable pour assurer la sécurité de l’approvisionnement global en électricité. C’est pourquoi les lignes HVDC ont un rôle colossal. Elles permettent d’acheminer du courant sur de grandes distances afin de permettre une compensation efficace des variations des centres de production d’énergie renouvelable.

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Par exemple, en 2007, une ligne HVDC appelée NorNed a été installée entre les Pays-Bas et la Norvège. Les Pays-Bas sont connus pour leur très forte, mais aussi très aléatoire production électrique issue d’énergies renouvelables, et en particulier de l’éolien à plus de 50 %. Cette ligne de courant continu à haute tension permet de compenser les irrégularités de cette production nationale grâce aux infrastructures hydroélectriques de la Norvège.

De la même manière, l’Allemagne envisage de créer une ligne HVDC sur un axe nord/sud qui compenserait les différences de production d’électricité qui existent entre le nord et le sud du pays. La production du sud est, en effet, dominée par le photovoltaïque alors que la production du nord du pays provient principalement des éoliennes.

En Europe, de nombreux projets similaires sont en train de voir le jour pour permettre une meilleure sécurisation du réseau à l’échelle du continent et assurer ainsi le déploiement des énergies renouvelables en toute sécurité. Ce maillage complexe du réseau électrique à l’échelle européenne pourrait également favoriser le foisonnement, c’est-à-dire la potentielle capacité d’une zone climatique à compenser le déficit d’une autre zone climatique pour obtenir un niveau de production global plus homogène.

[1] L’effet Joule est la manifestation thermique de la résistance électrique qui se produit lors du passage d’un courant électrique dans tout matériau conducteur

[2] L’effet capacitif est également présent sur les lignes à haute tension aériennes, mais beaucoup plus faible du fait de l’isolation obtenue grâce à l’air.