Depuis six mois, l’Espagne et le Portugal bénéficient de mesures exceptionnelles permettant de décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz. Résultat : une facture d’électricité 3 fois moins élevée que chez nous. Pourquoi n’applique-t-on pas les mêmes mesures en France ?

À la fin mars 2022, après un mois de discussions entre Teresa Ribera, ministre espagnole de la Transition écologique, José Duarte Cordeiro, son homologue portugais, et Bruxelles, l’Espagne et le Portugal sont sortis du système européen de « vente au coût marginal ». Madrid et Lisbonne ont reçu l’autorisation de la Commission européenne de réduire pendant au moins un an le prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité. Ce régime dérogatoire a été accordé à titre de mesures exceptionnelles « compte tenu de leur situation particulière ».

La péninsule ibérique est relativement isolée et bénéficie, il est vrai, de peu d’interconnexions avec le marché européen. Les deux pays produisent par ailleurs une grande part de leur électricité par des sources renouvelables au coût marginal très faible.

Selon Madrid, l’accord permettra de baisser la facture des ménages et des industriels de 30% au moins. Car le prix du gaz utilisé dans la production d’électricité sera limité en moyenne à 50 € le MWh sur les 12 prochains mois. Or au moment de l’accord, le prix du gaz naturel sur le marché de gros tournait autour de 90 € le MWh. Selon la Bourse européenne de l’énergie EEX, il est aujourd’hui à 176 euros…

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Petit subside, gros effet

Le principe de l’accord est simple : il consiste à subsidier l’énergie de la dernière centrale que l’on met en route, afin de dissocier la fixation du prix de l’électricité de celui du gaz.

Selon Charles Cuvelliez, professeur à l’École Polytechnique de l’ULB à Bruxelles, « Les prix de gros de l’électricité sont déterminés par le coût incrémental de la dernière centrale que l’on met en route pour équilibrer l’offre et la demande. Dans la plupart des cas, cette centrale est une centrale au gaz et avec les prix actuels du gaz, cette situation est intenable. Ce prix incrémental fixe le prix de gros et, par effet rebond, fixe les prix pour le consommateur. Mais le gouvernement espagnol, de concert avec le gouvernement portugais, a décidé de subsidier le gaz qui est utilisé dans les dernières centrales sollicitées ».

Ce mécanisme, appelé « Merit order », ou préséance économique, ou encore vente au coût marginal, fera qu’une centrale moins coûteuse sera sollicitée en priorité, avant d’actionner d’autres centrales au coût marginal plus élevé. En subsidiant le gaz, on active ainsi un effet de levier qui agit sur le prix de fonctionnement de la centrale la plus coûteuse, la dernière à être sollicitée, entraînant ainsi à la baisse le prix de gros de l’électricité. L’effet de levier est d’environ trois à quatre par rapport au prix de gros.

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Un système aberrant ?

Ce mécanisme de fixation des prix peut paraître inadapté, puisque c’est la dernière centrale qui fixe le prix, alors qu’une grande partie de l’électricité a peut-être été produite avec des sources renouvelables. Mais personne ne s’en plaint lorsqu’il fonctionne en sens inverse ! Lorsque le zéphyr souffle fort sur tout le continent européen, les dernières centrales mises en route restent les parcs éoliens.

Il arrive fréquemment que les prix de gros de l’électricité soient alors négatifs. Bien sûr, ces périodes de prix négatifs n’ont pas encore d’impact à long terme sur le montant de nos factures d’énergie, mais cela devrait nous encourager à nous défaire d’autant plus vite de la dépendance aux énergies fossiles.

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Autre effet positif : les acteurs qui génèrent de l’électricité à partir de sources renouvelables ont des marges plus élevées, ce qui encourage les autres acteurs à mettre en place des moyens de production d’énergie renouvelable. Et ces capacités nécessitent moins de subsides puisque les marges bénéficiaires sont plus grandes.

Pourquoi pas en France ?

L’Espagne est relativement peu connectée au reste du continent européen. La subsidiation du gaz profite ainsi presque exclusivement aux Espagnols et aux Portugais. Si la péninsule était moins isolée, la mécanique d’un marché plus ouvert et l’existence d’un réseau d’interconnexion plus dense aurait eu pour effet que l’électricité bon marché d’Espagne serait consommée en France.

Pour que ce système fonctionne en France, il faudrait que les autres pays-membres de l’UE, fortement interconnectés avec l’Hexagone, subsidient tous ensemble le gaz. Cette solution est actuellement à l’étude dans l’UE, mais on sait que certains pays, dont la Norvège – premier fournisseur de l’Europe en gaz naturel depuis les sanctions contre la Russie – y sont opposés. Selon Oslo, c’est aux racines du problème qu’il faut s’attaquer, à savoir résoudre la question d’un approvisionnement de l’Europe trop faible en gaz.

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