L’électrification des usages de l’énergie est aujourd’hui la voie privilégiée pour réduire notre dépendance aux combustibles fossiles. Dans le même temps, les carburants de synthèse se développent, et se présentent comme une solution nouvelle. Revue des avantages et inconvénients d’un futur duel entre vecteurs énergétique.

S’il est un domaine emblématique de la transformation récente du paysage énergétique, il s’agit bien de celui du transport, marqué par le développement accéléré des véhicules électriques. Ces derniers illustrent la tendance historique à l’électrification des modes d’usage de l’énergie, au détriment de l’énergie thermique. L’électricité avait perdu la première manche lors de l’invention de l’automobile au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, tient-elle là sa revanche ?

L’interdiction des véhicules thermique pour 2050 dans l’Union Européenne (et la Californie), semble consacrer cette victoire. Mais l’énergie thermique aurait-elle donc définitivement perdu la bataille ? Ce n’est pas si simple, car ce serait oublier les carburants de synthèse. Produits à partir du CO2 provenant de sources captives ou de la simple atmosphère, et fabriqués grâce aux énergies renouvelables ou nucléaire, les carburants de synthèse présentent des atouts qui ne peuvent être négligés. Le duel est relancé.

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Ex-aequo en ce qui concerne la souveraineté et le climat

L’électricité et les carburants de synthèse sont tous les deux des vecteurs énergétiques, c’est-à-dire qu’ils n’existent pas dans la nature. Il est donc nécessaire de les produire à partir de sources d’énergie primaire. En tant que tel, notre capacité à produire électricité ou carburants de synthèse n’est donc pas déterminée en soi par les richesses de notre environnement, notamment de notre sous-sol comme c’est le cas pour les énergies fossiles, mais par la disponibilité de moyens de production de l’énergie primaire locaux. Il ne s’agit donc pas d’un argument différenciant, en première approche.

En ce qui concerne les objectifs climatiques, les deux solutions sont neutres en carbone. Cela est vrai à condition bien sûr que l’électricité soit produite à partir de sources décarbonées, et que les carburants de synthèse recyclent du CO2 provenant de l’atmosphère.

Le duel commence donc par une égalité : 1 – 1.

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L’électricité, championne de la sobriété

L’électricité est stockée avec un excellent rendement (de l’ordre de 90% dans les batteries ou dans les barrages). Ce bon rendement caractérise également les moteurs électriques, entre 60% et 90%, à comparer avec un rendement de 45% au mieux pour les moteurs thermiques. En outre, l’électricité peut alimenter des pompes à chaleur qui permettent de démultiplient la production d’énergie thermique en l’extrayant de l’environnement proche.

Les carburants de synthèse, quant à eux, doivent être tout d’abord fabriqués, notamment à partir d’électricité, ce qui consomme de l’énergie, et occasionne de nombreuses pertes. Leur utilisation par leur combustion se fait ensuite avec le rendement plutôt faible des machines thermiques. Si bien que le rendement global de leur utilisation est faible, inférieur à 50%, voir de l’ordre de 30% si l’on considère l’ensemble de la chaîne.

Ainsi, comparativement à la situation actuelle, la généralisation du vecteur électricité peut conduire à une diminution de la production totale d’énergie à même consommation d’énergie finale, tandis que les combustibles de synthèse vont conduire à une augmentation des besoins de production d’énergie. Si l’énergie primaire provient de sources d’énergie intensives en surface, comme par exemple l’électricité photovoltaïque ou éolienne, cela peut conduire à l’artificialisation d’une plus grande surface, au détriment notamment de l’agriculture ou des espace naturels.

Avantage donc pour l’électrique : 2 – 1.

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L’électricité entraîne un bouleversement de l’infrastructure

Les carburants de synthèse ont l’avantage d’utiliser une infrastructure déjà existante : le circuit de transport et de distribution des hydrocarbures existant. Par exemple, une essence de synthèse pourrait être mise à disposition dans les stations-service qui existent déjà, et utilisée dans les véhicule déjà en circulation. Un méthane de synthèse pourra circuler dans les gazoducs déjà construits et être stockée dans les infrastructures stratégiques existantes. A contrario, l’électricité exige de démanteler cette infrastructure existante et d’en construire une nouvelle, ce qui est coûteux en investissements et en ressources.

Par ailleurs, les carburants de synthèse peuvent palier plus facilement à l’intermittence des sources d’énergie renouvelables. Il est en effet possible d’imaginer des installations de production de ces carburants qui ne fonctionneraient que lors des périodes de surproduction, par exemple les jours très venteux, ou les jours de beau temps en été, circonstances au cours desquelles les prix de l’électricité diminuent très fortement. Leur production deviendrait ainsi une activité saisonnière, au même titre que l’agriculture.

Avantage en la matière pour les carburants de synthèse : 2 – 2.

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Le prix donne un avantage à l’électricité

Les carburants de synthèse se basent sur des réactions chimiques connues depuis longtemps, mais les installations qui permettraient leur production en masse n’existent pas. Il s’agit d’une industrie lourde, qui reste à développer. Les prix des premiers carburants de synthèse sont ainsi particulièrement élevés, de l’ordre de 60 €/L, même si les promoteurs d’installations de production à grande échelle en cours de développement avancent des prix plus bas, de l’ordre 2 €/L.

Par ailleurs, le faible rendement énergétique de la chaîne de production des carburants de synthèse conduit à devoir surdimensionner les capacités de production d’énergie primaire nécessaire à leur fabrication, ce qui démultiplie encore les coûts en comparaison du vecteur électrique. Cela implique également, en première approche, une plus grande quantité de matériaux à extraire du sol.

La filière électrique, quant à elle, approche de la maturité. Les coûts des véhicules électriques restent encore supérieurs à ceux des véhicules thermiques, ce qui motive les nombreuses aides publiques proposées pour leur acquisition, mais les prix ont très significativement diminué. Il en est de même, et c’est lié, en ce qui concerne le prix des batteries.

L’argument des coûts donne un point à l’électricité : 3 – 2.

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Vers une complémentarité ?

Victoire pour l’électricité, donc ? Vous l’aurez compris, les scores évoqués dans cet article n’ont rien de définitif, car le sujet ne saurait être aussi simplement résolu. En outre, il conviendrait d’aborder de nombreux autres critères par exemple : stabilité du réseau électrique, impact comparatif sur la santé, … Bien malin celui qui saurait prédire aujourd’hui le mix énergétique effectif en 2050. Nous espérons toutefois avoir réussi à illustrer les arguments techniques les plus saillants qui conduisent les différents acteurs à pencher d’un côté ou de l’autre.

Les carburants de synthèse peuvent devenir des moyens de stockage saisonnier de grande capacité, et leur plus grande densité énergétique est particulièrement utile pour certaines applications de mobilité à forte valeur ajoutée, citons ne serait-ce que le secteur aéronautique. Leur capacité à réutiliser sans la rendre obsolète l’infrastructure existante est un atout. De l’autre côté, la filière électrique est plus simple et bénéficie d’un meilleur rendement, elle s’inscrit dans une tendance historique long terme, et offre une efficacité plus grande en ce qui concerne l’utilisation à court terme de l’électricité intermittente.

Mais est-il tant besoin de trancher ? Est-il possible d’en déduire une forme de complémentarité entre ces avantages et inconvénients comparés ? Le temps nous le dira, car le futur est fait d’une part de ce que nous savons aujourd’hui, mais aussi d’autre part de notre capacité à innover et à inventer, et celle-ci est nettement moins prévisible.