Madame Pannier-Runacher, nouvelle ministre de la Transition énergétique, ne veut pas accélérer l’éolien terrestre. Elle l’a dit la semaine dernière à l’AFP : « Nous devons continuer le déploiement au même rythme qu’aujourd’hui, c’est-à-dire à un rythme qui correspond manifestement à ce que la société française est prête à accepter ». Que faut-il en penser ?

La ministre s’inscrit dans la droite ligne du chef de l’Etat dans son discours de Belfort, le 10 février dernier. Tout en évoquant un développement « massif » des énergies renouvelables, annonçant une croissance du photovoltaïque (PV) à 100 GW et de l’éolien maritime à 40 GW, il avait annoncé le report à 2050 du doublement de la puissance éolienne terrestre actuelle, initialement fixé à l’horizon 2030. Soit 18,5 GW de plus en 28 ans – rythme inférieur encore au rythme actuel (1 GW en 2021).

Il notait pourtant, en même temps, que « les délais de procédure – cinq ans pour un parc solaire, 7 ans ou plus encore pour un parc éolien, ne sont pas supportables. Ils viennent réduire la rentabilité des projets et ils conduisent à multiplier les contestations partout sur le terrain. »  Et il ajoutait « la base de la lutte contre le changement climatique est donc la levée de toutes les barrières réglementaires à partir du moment où les projets sont acceptés localement. C’est donc ce que nous ferons. »
Qu’est devenue cette ambition ? Quelques mois plus tard, ces « délais insupportables » caractérisent-ils « le rythme qui correspond manifestement à ce que la société française est prête à accepter » ?

À lire aussi L’éolien et le solaire, des énergies « non renouvelables » : l’étrange lapsus d’Emmanuel Macron

L’exécutif aurait dû revoir sa copie

Plusieurs évènements survenus depuis le 10 février auraient pourtant pu, auraient dû inciter l’exécutif à revoir sa copie et revenir au moins au plan initial : la Russie a entrepris une guerre totale en Ukraine, poussant les Européens à accélérer la transition énergétique et à cesser de financer l’effort de guerre russe en achetant des hydrocarbures, tandis que les énergies fossiles s’installent à des niveaux de prix très élevés.

On a arrêté de nouveaux réacteurs nucléaires – à Cattenom, à Flamanville – suite à la découverte de fissures dans les circuits d’injection de secours, portant ainsi à douze le nombre de réacteurs arrêtés à la suite de ce défaut ; enfin, Emmanuel Macron a été réélu le 19 avril sur la promesse de mettre l’écologie au cœur de son quinquennat. Et ne parlons même pas de la publication du rapport du GIEC, et de son volet « atténuation des changements climatiques ».

À lire aussi EDF doit arrêter trois réacteurs supplémentaires, la production nucléaire au plus bas depuis 1991

Ne pas accélérer l’éolien terrestre ? Voyons ce que ça signifie pour le monde, la France et l’Europe. Un monde sans carbone suppose pour l’Agence Internationale de l’Energie un rythme annuel d’installation de renouvelables passant de 248 GW en 2020 à plus de 1000 GW en 2030 – un quadruplement. Le parc éolien mondial devrait être multiplié par dix entre 2021 et 2050, passant de 840 à 8 265 GW.

Toute la promesse de la transition énergétique se trouve d’ailleurs là : les énergies du soleil et du vent sont devenues les moins chères. Le manque de compétitivité qui auparavant freinait leur développement s’est évanoui. Le rythme d’installation peut s’accélérer sans peser sur les finances publiques, au fur et à mesure de l’augmentation des besoins, du vieillissement des parcs thermiques nucléaires et fossiles, voire de leur déclassement accéléré. Dans ce contexte, ralentir le déploiement éolien, c’est renoncer au leadership.

À lire aussi « Refuser une éolienne parce que ce n’est pas beau, c’est irresponsable » dixit le président de la CRE

Le risque d’une sévère pénurie d’électricité

Certes, cette multiplication par dix du parc éolien mondial embarque également le terrestre et le maritime. Dans le discours du 10 février, tout était fait pour donner l’impression qu’on remplaçait, au fond, l’objectif terrestre, en butte à trop d’oppositions, par de l’éolien maritime. On allait réaliser, proclamait Macron, 50 parcs, pour 40 GW. Et cela suffit à peu près, en effet, dans le cadre du scénario privilégié par le chef de l’Etat, qui comprend la prolongation de la moitié du parc nucléaire historique et la construction de 14 EPR et de plusieurs small modular reactors. Or évidemment, tout cela est très hypothétique – on n’est sûr ni de pouvoir prolonger les réacteurs existants jusqu’à 50, voire 60 ans, ni bien sûr de construire 14 EPR alors que Flamanville n’est toujours pas en route, qu’un des EPR chinois est à l’arrêt depuis bientôt un an et que le deuxième serait également touché, qu’Olkiluoto en Finlande, en construction depuis 2003, a été arrêté sitôt démarré, que Hinkley Point sera en retard…

En supposant malgré tout que RTE dispose en 2050 de huit EPR et de 16 GW de réacteurs nucléaires « historiques », il lui faudrait 45 GW d’éolien maritime, 58 de terrestre et 118 GW de solaire pour répondre à la demande. Les annonces de Macron sur les renouvelables créeraient donc un déficit de plus de 30 GW. Sans nucléaire neuf, le déficit atteindrait 80 GW : on n’aurait alors que la moitié (37 GW) de l’éolien terrestre nécessaire (72 GW). Il faudrait alors renoncer à décarboner l’économie, ou risquer une sévère pénurie d’électricité… A l’inverse, si les renouvelables et le nucléaire se développaient comme prévu, un surplus temporaire d’électricité permettrait d’accélérer la décarbonation de l’Europe – pas vraiment un problème.

À lire aussi « Futurs énergétiques 2050 » : les leçons de l’étude RTE (2/2)

Ralentir n’a strictement aucun sens

Vu d’Europe, le contraste est encore plus saisissant. À la suite de la guerre en Ukraine, l’objectif de 40% d’énergies renouvelables dans l’énergie finale en 2030 va sans doute être rehaussé à 45%. Or, la France est déjà le seul pays de l’Union à n’avoir pas respecté son objectif d’énergie renouvelable en 2020. L’écart avec l’Allemagne est particulièrement saisissant : 18,5 GW et 8 000 éoliennes chez nous, 64 GW et 28 000 éoliennes en Allemagne. Et la coalition au pouvoir en Allemagne veut accélérer, doublant le rythme annuel d’installations de 5 GW – sur un territoire un tiers plus petit que le nôtre.

À lire aussi Energies renouvelables : selon les calculs d’Eurostat, la France est le cancre de la classe européenne

Bien plus que les chiffres de 2050, c’est la rapidité de déploiement qui compte – il n’y aura pas un kW de nucléaire neuf avant 2037. Ralentir n’a strictement aucun sens. Réduire notre dépendance aux hydrocarbures russes, et décarboner, c’est une double course de vitesse.

Ralentir le rythme de l’éolien terrestre, c’est tourner le dos à l’Europe. Comme si Macron entendait montrer qu’on peut persister dans le non-respect de nos engagements européens. Certes, les nouveaux objectifs en matière d’énergie renouvelable ne seront pas contraignants au niveau des Etats. Ralentir, c’est donc se reposer sur les autres pays. Macron entend-il devenir le Viktor Orban de la transition énergétique ?

À lire aussi Nouveau sondage : les Français largement favorables à l’éolien À lire aussi Ce président de région va financer des associations anti-éoliennes