Il y a cinquante ans, l’unique moyen pour stocker de très grandes quantités d’électricité était d’utiliser… de l’eau, grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP). En France, la première STEP a été inaugurée en 1976 à Revin dans les Ardennes. Nous l’avons visitée, à l’occasion de la vidange de son réservoir supérieur, un des chantiers de rénovation qui devraient permettre de prolonger son exploitation sur 40 années supplémentaires.

Bien avant l’arrivée des méga-batteries stationnaires, les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) assuraient déjà la flexibilité des réseaux électriques. Elles sont apparues, en France, durant les années 1970 et 1980, en même temps que le parc nucléaire. L’idée était de stocker les surplus de production des réacteurs nucléaires, notamment la nuit, pour s’en servir le jour, lors des pics de consommation. Cela devait réduire l’amplitude du « suivi de charge » des réacteurs, de fatigantes et coûteuses fluctuations de puissance.

Près de cinquante ans plus tard, la mission des six grandes STEP implantées en France n’a pas changé. De nouvelles se sont même ajoutées, avec le déploiement massif de l’éolien et du solaire. En plus des excédents nucléaires, elles pompent à plein régime lorsque le vent souffle vigoureusement sur l’hexagone et, en milieu de journée l’été, lorsque le soleil rayonne. Un travail éreintant pour ces impressionnantes, mais souvent discrètes usines. Car la plupart des STEP sont enterrées sous plusieurs centaines de mètres de roche, au cœur des montagnes, des Alpes jusqu’aux Ardennes en passant par le Massif central.

Comment fonctionne une STEP ?

Le principe d’une STEP est de stocker de l’électricité indirectement, grâce à l’énergie potentielle de pesanteur de l’eau. Concrètement, il s’agit d’une centrale hydroélectrique composée de deux bassins : un réservoir supérieur, situé en altitude, et un réservoir inférieur, situé plus bas. Pour « recharger », des pompes envoient l’eau du bassin inférieur dans le bassin supérieur. Pour « décharger », l’eau du bassin supérieur est dirigée vers le bassin inférieur en entraînant une turbine, puis un alternateur qui produit de l’électricité. Pour comprendre en détail le fonctionnement d’une STEP, n’hésitez pas à consulter notre dossier spécial.

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La STEP de Revin (Ardennes) est la première à avoir vu le jour en France, en 1976. Elle contribue à la flexibilité du réseau électrique national, et même celui de nos voisins, depuis près de 50 ans. Plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes d’eau ont traversé ses canalisations et ses turbines. Forcément, ça use. EDF, l’exploitant, a donc entamé une profonde réfection de ses installations en 2015. L’objectif est de prolonger la durée de vie de la STEP pour 4 à 5 décennies supplémentaires, ce qui porterait à presque un siècle son exploitation.

Fiche technique de la STEP de Revin

Nombre de groupes

4

Puissance en turbinage

720 MW

Débit en turbinage

400 m³/s

Débit en pompage

300 m³/s

Capacité de stockage (eau/énergie)

8,5 Mm³ / 4,4 GWh

Autonomie à pleine puissance

5h30

L’énergéticien national a d’abord procédé au démontage et la rénovation profonde des alternateurs. Ces machines, entraînées par les turbines à 300 tours/minute, pèsent plusieurs centaines de tonnes (300 t pour le rotor à lui seul). Plus tard, EDF a remplacé à neuf les roues Francis turbine-pompe de 3 groupes, afin de gagner en rendement. L’exploitant s’est contenté de rénover celle du groupe 4. La roue est un organe à l’esthétique intrigante, qui a la lourde tâche de convertir l’énergie cinétique de l’eau en énergie mécanique (ensuite convertie en énergie électrique par l’alternateur relié sur le même arbre).

Ces roues uniques en leur genre, spécialement profilées pour performer en pompage comme en turbinage, reçoivent une pression colossale, environ 23 bars, à l’ouverture des vannes. Malgré le phénomène de cavitation, à priori bien maitrisé ici, une roue « usée » par 40 années de service ne paraît pas si abimée. À l’entrée de Revin, EDF a exposé l’une des roues extraites de la STEP. Elle semble remarquablement conservée, même si elle n’était manifestement plus en assez bon état pour continuer sa mission.

La prise d’eau, appelée « tulipe », qui abrite le puits de chute de 230 m de profondeur. Son architecture permet d’éviter la formation de tourbillons potentiellement destructeurs dans le bassin supérieur. La roue Francis turbine-pompe exposée à l’entrée de Revin  / Images : Révolution Énergétique.

Un réservoir totalement artificiel aménagé en pleine forêt

Les immenses robinets sphériques (105 t), qui commandent l’arrivée de l’eau chutant depuis le bassin supérieur, subissent également des contrôles. L’un des 4 robinets a été entièrement démonté, extrait de sa caverne souterraine puis rénové chez Andritz, un industriel autrichien dont l’une des spécialités est la fabrication et la rénovation d’équipement hydroélectriques. L’opération a nécessité la vidange complète du bassin supérieur appelé « Marquisades », totalement artificiel. Perché sur les rebords d’une colline dominant la vallée de la Meuse, ce réservoir a été créé au milieu de la forêt grâce à des digues.

Il y a deux ans, en 2021, EDF avait procédé à l’assèchement complet du bassin inférieur, appelé « Whitaker », créé par la fermeture d’une petite vallée. À l’achèvement des opérations de grande maintenance, la STEP de Revin sera repartie pour 40 années de service. Elle poursuivra sa mission de stabilisation du réseau électrique, plus que jamais indispensable avec l’avènement des énergies renouvelables intermittentes, au moins jusqu’à l’aube du siècle prochain.

Les deux bassins durant leur vidange / Images : Révolution Énergétique (bassin supérieur), EDF (bassin inférieur).