Les assemblées générales sont l’occasion pour un nombre croissant d’actionnaires, dont certaines institutions financières, de demander aux dirigeants du secteur pétrolier d’adapter leur stratégie pour viser à atteindre les objectifs imposés par les Accords de Paris de 2015.

On avait rarement vu les dirigeants de BP, de Shell, mais aussi d’Exxon ou de Chevron aussi malmenés et mis sous pression par leurs actionnaires lors des assemblées générales.
Les détenteurs du capital de ces groupes sont de plus en plus nombreux à exiger de leurs patrons l’adoption de mesures visant à réduire l’empreinte carbone de leurs activités, et permettant d’être en ligne avec l’objectif fixé par les Accords de Paris de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés.

Fin 2017, Shell avait officiellement adopté des objectifs environnementaux à long terme : -20% d’émissions directes et indirectes d’ici à 2020, et -50% d’ici 2050. En décembre 2018, à l’occasion de la COP24 organisée en Pologne, le groupe anglo-néerlandais s’est même engagé à lier la rémunération de ses dirigeants à l’atteinte d’objectifs climatiques.
1200 cadres sont visés par cette mesure, selon Financial Times. La décision doit encore être soumise au vote des actionnaires lors de l’Assemblée Générale de 2020.
Mais, lors de l’AG de mai dernier, pour bien faire comprendre que ces mesures ne suffisaient pas, les actionnaires avaient exigé des dirigeants de Shell qu’ils définissent également des objectifs à court et moyen terme, alignés sur les accords de Paris pour la période 2020-2030. Le groupe pétrolier s’est alors engagé à quitter les lobbies défavorables à l’accord de Paris.

Chez BP, lors de l’AG de mai dernier, les actionnaires ont voté à 99,15% en faveur d’une résolution déposée par Climate Action 100+[1], et recommandée par Helge Lund, le président de BP. Un changement surprenant. Mais Helge Lund est conscient que le groupe n’a pas le choix. Il va devoir s’adapter aux exigences du changement climatique, car plus il attend, plus les investissements à consentir à l’avenir seront lourds. Il y va donc de l’intérêt de la planète comme de celui des actionnaires.

Explosion de la plateforme Deepwater Horizon exploitée par BP dans le golfe du Mexique

En mai 2015 déjà, lorsque Shell avait rendu public son projet de forage en Arctique, les actionnaires du pétrolier avaient voté à 98,9% une résolution demandant aux dirigeants du groupe de s’orienter vers une stratégie bas carbone.

Situation comparable chez BP et Chevron aux Etats-Unis. Et chez ExxonMobil, les actionnaires ont voté en mai 2017 à une large majorité une résolution exigeant des dirigeants un stress test climatique,  consistant à évaluer l’impact financier des politiques publiques climatiques sur leur activité.

Vrai changement de cap, ou poudre aux yeux ?

Les promesses et engagements pris par les majors du secteur peuvent-ils être pris au sérieux ? Les industries du secteur pétrolier ne réagissent qu’en termes de perspectives de rentabilité. Seules l’adoption de mesures environnementales fortes et l’instauration d’une taxe carbone peuvent les pousser à changer de cap. Car certaines ONG pointent du doigt la volonté encore fort présente dans le secteur à minimiser l’empreinte carbone de leurs activités, et à tromper l’opinion publique sur le réel impact des produits pétroliers sur l’environnement.

Le rapport des Amis de la Terre France (dans « Total, la stratégie du chaos climatique », mai 2019) dénonce les ressources faramineuses que le groupe pétrolier français mobilise dans des campagnes de lobbying, « pour duper l’opinion publique ainsi que les décideurs, afin de les convaincre qu’il est possible de concilier les investissements massifs dans de nouveaux gisements de combustibles fossiles avec l’impératif climatique. »

Comme ces géants pétroliers disposent des moyens financiers énormes, ils réalisent régulièrement des acquisitions dans les énergies renouvelables, largement médiatisées, qui redorent quelque peu leur blason. Mais la plupart de ces acquisitions sont purement cosmétiques, et ne représentent en fait qu’une pacotille dans l’océan de leur chiffre d’affaires.
En 2018, Total a déboursé 9,2 milliards de dollars en investissements dans la production d’hydrocarbures, contre seulement 0,5 milliard dans le gaz et les renouvelables.


[1] Climate Action 100+ est une initiative de plus de 360 investisseurs privés, lancée en 2017, qui a pour but de convaincre les plus gros émetteurs de GES du monde d’adopter les mesures climatiques nécessaires pour infléchir leur niveau d’émission. Le fond dispose de plus de 34 milliards de $ qui sont gérés de manière collective dans le but de :

  • réduire les émissions globales de GES
  • induire une meilleure gouvernance au sein de ces grandes entreprises
  • renforcer les investissements financiers dans le but de protéger le climat.