La startup suisse Energy Vault a mis au point une nouvelle solution simple et astucieuse pour stocker l’électricité. Une alternative bon marché aux stations de pompage-turbinage (STEP) et aux batteries. Elle combine surtout plusieurs avantages : un très bon rendement énergétique, elle peut être implantée à peu près partout et ne nécessite que peu de capitaux.

Pour accompagner la transition énergétique, les capacités actuelles de stockage d’électricité dans le monde devront tripler au cours des 20 prochaines années. Dans un rapport de 2016, Bloomberg New Energy Finance estimait que le montant des investissements nécessaires d’ici 2030 pour le stockage d’énergie s’élevait à plus de 100 milliards de dollars. Actuellement 96 % des capacités mondiales de stockage sont assurées par des stations de pompage-turbinage. La France dispose de 6 centrales de ce type, d’une puissance totale de 5 GW. En Belgique, la centrale de Coo permet d’injecter 1,3 GW sur le réseau pendant 5 heures. Ces stations ont été construites en même temps que le parc nucléaire pour parer au manque de souplesse des réacteurs dont la puissance ne peut pas varier aussi rapidement que la consommation sur le réseau.

Mais peu de sites se prêtent à la construction de nouvelles STEP, leur implantation n’étant possible qu’en montagne ou sur les reliefs accidentés. Leurs lacs de rétention d’eau occupent beaucoup de place et l’édification d’un barrage pose souvent de gros problèmes environnementaux.

Ces derniers temps, les batteries électrochimiques ont la cote en matière de stockage d’électricité. L’utilisation de batteries usagées de véhicules électriques est notamment une solution intéressante. Mais cette technologie est encore chère et le stockage stationnaire par batterie entre en concurrence avec le développement attendu de la mobilité électrique qui nécessitera aussi de grandes capacités de stockage. Le spectre d’une pénurie des matières premières nécessaires à leur fabrication pourrait provoquer une hausse des prix.

En outre la capacité de stockage des batteries diminue dans le temps et leur longévité est limitée à moins de 20 ans.

Des batteries « de béton »

Dans ce contexte le concept mis au point par la startup suisse Energy Vault nous semble très intéressant. L’idée est tellement simple qu’on se demande pourquoi personne ne l’avait encore développée.

Lorsque l’électricité produite est supérieure à la demande, une grue à six branches lève des blocs de béton de 35 tonnes et les empile comme dans un Lego géant pour former une tour. Pendant cette opération, l’électricité est transformée en énergie potentielle selon le même principe que celui qui est appliqué dans les stations de pompage-turbinage. Lorsqu’au contraire, la consommation électrique excède la capacité de production, la grue redescend les blocs de béton un par un pour reformer une seconde tour à l’extérieur de la première. Pendant cette phase, le moteur électrique de la grue devient un alternateur qui, en freinant la descente des blocs, produit de l’électricité et l’injecte sur le réseau. L’énergie potentielle a donc été transformée en énergie cinétique d’abord (due à la vitesse de descente des blocs) puis en énergie électrique. Ici, c’est un  principe similaire à celui du freinage régénératif, utilisé dans les véhicules électriques et hybrides, qui s’applique.

L’ensemble du processus est piloté par un algorithme mis au point par Energy Vault. Il détermine à tout instant l’endroit où doivent être placés les blocs et les capacités de stockage nécessaires en fonction de paramètres multiples, comme les prévisions de consommation, les prix de l’électricité ou la météo qui impacte la production des énergies renouvelables. Le logiciel qui pilote la grue est aussi conçu pour éviter les oscillations des blocs provoquées éventuellement par le vent. Ils doivent en effet être déposés au centimètre près pour préserver la stabilité de la tour. Un des grands défis de la startup est de garantir la sécurité et la fiabilité de la technologie quelles que soient les conditions météo.

Avantage de cette solution : elle peut être mise en œuvre à peu près partout puisqu’il suffit d’un terrain plat d’un diamètre de 100 mètres. L’installation peut par exemple être implantée à côté d’une ferme solaire ou éolienne pour compenser la variabilité de sa production d’électricité. Evidemment, la grue et la tour de béton d’une hauteur de 120 mètres ne passeront pas inaperçues dans le paysage et on peut imaginer que des riverains éventuels ne seront pas heureux en cas d’une construction proche de leur lieu de vie. C’est un des seuls désavantages de cette technologie.

L’installation peut être implantée à côté d’une ferme solaire ou éolienne

Rendement et rapidité de réaction

Selon Energy Vault, le rendement énergétique du processus est d’environ 90 %, c’est-à-dire que 90 % de l’énergie utilisée pour lever les blocs est réinjectée sur le réseau. Par comparaison, le rendement d’une STEP n’est que de 75 %.

Autre grand avantage du concept : en cas de risque de déséquilibre du réseau, l’installation peut démarrer en l’espace de quelques millisecondes et elle atteint sa pleine puissance après seulement 2,9 secondes. Cette rapidité de réaction permet d’entrevoir pour cette technologie la possibilité de fournir des services de régulation du réseau, en corrigeant de brefs déséquilibres électriques tels que des écarts de fréquence ou de tension. Ces services, très utiles aux gestionnaires de réseau sont rémunérés avantageusement.

Coût et rentabilité

La capacité de stockage d’une installation standard est de 35 MWh et la durée d’un cycle de « décharge » est de 9 à 10 heures pour une tour de 120 mètres. La puissance de pointe de 4 MW est modulable en fonction de la demande. Comparée à la puissance et la capacité d’une STEP, c’est évidemment très peu. Mais l’investissement est proportionnellement beaucoup moins élevé et ces tours de stockage peuvent être multipliées et décentralisées sur les territoires.

La grue et toutes ses opérations étant pilotées automatiquement, aucune main d’œuvre n’est requise sur le site. Les frais de personnel sont donc réduits. Les coûts de maintenance et d’entretien sont aussi limités : il faudra remplacer les câbles et les poulies de la grue à intervalle régulier mais il s’agit d’une opération simple, classique et peu coûteuse. « Nous estimons la durée de vie d’une installation à plus de 30 ans, peut-être même 40 » nous assure Andrea Pedretti, Chief Technology Officer de la startup. Pour la fabrication des blocs de béton – qui sont coulés sur place – il est prévu d’utiliser des déchets de construction, ce qui réduit les coûts et les impacts environnementaux. Toutes ces caractéristiques permettent à Energy Vault d’évaluer à environ 200-250 dollars par kWh de capacité l’investissement nécessaire pour la construction d’une installation. En tenant compte de l’amortissement sur la durée de vie et des coûts d’utilisation réduits (personnel, entretien, maintenance, …),  la société affirme que son système de stockage est 80% moins cher que ceux de la concurrence.

Le marché visé par la start-up est celui des producteurs d’énergies renouvelables et des gestionnaires de réseau. Début novembre elle a conclu un premier contrat commercial avec le géant indien Tata : la mise en service de la première installation aura donc lieu en Inde cette année et nous devrions bientôt savoir si elle tient toutes ses promesses.