Exploiter une roue d’inertie pour le stockage de l’énergie n’est pas une idée récente. C’est même la plus ancienne méthode connue, encore à l’œuvre aujourd’hui, pour la mobilité et les énergies renouvelables.

Des mots différents pour un même principe

Existe-t-il un principe qui accumule autant d’appellations très différentes que la roue d’inertie ? SREC, Kers, flywheel pour les plus récentes ; accumulateur cinétique à inertie, volant d’inertie, moteur à inertie, machine à inertie, et nombre de variantes, pour les plus classiques. Toujours est-il que tous ces mots désignent un dispositif dont l’histoire fixe les origines il y a environ 6.000 ans, en Mésopotamie. Son rôle: emmagasiner de l’énergie pour la restituer à la demande. Leur force gyroscopique qui s’épuise avec le temps, – par frottement au niveau du roulement et avec l’air -, réserve l’usage des roues d’inertie à des applications à relativement court terme, notamment lors de besoins en fortes puissances immédiates pour le lancement d’un mécanisme. La recherche a permis de réduire de façon exceptionnelle ses inconvénients : poids et taille des systèmes, force directionnelle parasite et autonomie du mouvement.

Un peu d’histoire

Avant d’embarquer dans les bolides, de récupérer la force des puissants ralentissements et freinages des rames de métro, ou de stocker la production d’énergie obtenue de sources renouvelables et souvent intermittentes, la roue d’inertie était exploitée par les potiers de Mésopotamie afin d’entretenir la rotation du tour sur lequel prenaient forme les contenants de l’époque.

Mille ans plus tard environ, le système se fixait sur des rouets afin de travailler avec plus de régularité les fibres textiles. En plusieurs points de la frise du temps, la roue d’inertie a été mise à profit pour des applications de plus en plus nombreuses, en totale autonomie : scieries, moulins, puits, machineries de théâtre, etc.

Première applications à la mobilité

L’application à la mobilité du principe de moteur à inertie est plus récente, mais remonterait à très exactement 150 ans. Fin 1868, un ingénieur français, Louis-Guillaume Perreaux, a déposé un brevet pour un dispositif à volant d’inertie qui, monté sur un vélocipède, permettait à l’engin de filer avec régularité à la vitesse périlleuse d’environ 35 km/h.

Une centaine d’années plus tard, Oerlikon, – une société Suisse -, exploite le moteur à inertie pour la propulsion de ses Gyrobus en circulation dans plusieurs villes de Belgique. En couplant avec un moteur électrique un tel système, disposé à plat sous le plancher, pas besoin d’installer un coûteux et disgracieux réseau de caténaires sur les trajets des engins.

Cette architecture de motorisation autorisait les véhicules de transport en commun à faire des sauts de puce de quelques kilomètres, d’arrêt en arrêt, à une vitesse de 50 à 60 km/h. Le temps de renouveler les passagers, une perche fixée à l’avant du Gyrobus permettait un court branchement avec le réseau électrique local, suffisant pour relancer le volant d’inertie à 3.000 tr/min via un petit moteur/générateur dédié. Pour repartir et arriver jusqu’au prochain arrêt, le moteur de traction recevait son énergie du système gyroscopique via le même appareil, alors en mode générateur.

Des inconvénients majeurs à gommer

En périphérie du volant d’inertie des gyrobus, la vitesse pouvait atteindre 900 km/h. Aux sérieux dégâts que pourrait provoquer un tel équipement s’il se libérait en cas d’accident, s’ajoutaient les inconvénients de la force gyroscopique, sur la conduite d’un véhicule, d’une  encombrante roue en acier pesant 1,5 tonne pour 1,6 mètre de diamètre, et tournant à haute vitesse. Les chauffeurs peinaient à faire changer les véhicules de direction.

Les constructeurs et ingénieurs qui ont souhaité exploiter le principe de l’accumulateur à inertie ces 2 ou 3 dernières décennies pour la mobilité sont parvenus à gommer progressivement les inconvénients du système. En travaillant avec l’université locale et l’Aérospatiale, la communauté urbaine de Bordeaux a obtenu, dans les années 1990, pour des camions électriques principalement utilisés en ville, un volant d’inertie d’un diamètre de seulement 35 cm pour un poids réduit à 250 kilos. Ce dispositif, maintenu sous vide afin de réduire les frottements avec l’air, était capable de relancer 4 fois, depuis l’arrêt et jusque 75 km/h, un engin de 16 tonnes. L’objectif du projet, qui a été abandonné pour des raisons de politique interne à la communauté urbaine de Bordeaux alors qu’il avait prouvé son efficacité, visait à préserver les batteries de traction au plomb qui encaissaient mal les forts appels de puissance aux redémarrages.

Pour la mobilité au XXIe siècle

De nouveaux progrès ont été apportés, avec des disques en fibre de carbone ou Kevlar d’à peine vingt centimètres, pour un poids inférieur à 10 kg, placés dans des compartiments sous vide ou avec un gaz spécifique, et tournant en périphérie à plusieurs milliers de km/h. Ainsi, les volants d’inertie ont pu embarquer dans différents bolides, sous les noms de « Système de récupération de l’énergie cinétique » (SREC) ou « Kinetic Energy Recovery System » (Kers).

Attention : sous les appellations Kers et SREC, on case aussi des dispositifs qui exploitent électriquement les phases de décélération pour recharger des batteries au lithium, sans utiliser le moindre accumulateur en mouvement. Développé par Williams Hybrid Power, un dispositif à volant d’inertie équipe l’Audi R18 e-tron quattro, mais aussi des tramways Citadis d’Alstom. Afin de limiter l’effet gyroscopique, les ingénieurs ont imaginé un système à 2 volants contrarotatifs : les mouvements s’opposant gomment efficacement l’inconvénient que connaissaient les chauffeurs des Gyrobus.

Accumulateur à inertie décentralisé

Le principe du moteur à inertie reste aujourd’hui particulièrement adapté aux véhicules de transport en commun qui s’arrêtent et repartent parfois plusieurs centaines de fois par jour. C’est le cas des bus et tramways, mais aussi du métro. Et, justement, concernant ce dernier, en 2010, Keolis et Rennes Métropole ont mis en place un système à inertie afin de récupérer l’énergie aux freinages de la trentaine de rames actives en simultanée à l’époque, pour assister ensuite leurs redémarrages.

Ce dispositif d’un poids total de 9 tonnes, – dont 2 ,5 tonnes rien que pour le volant -, a rapidement permis d’économiser environ 230.000 kWh par an, soit 11 jours de fonctionnement ou l’équivalent de la consommation annuelle en électricité de 150 foyers.

Econologique

L’exploitation d’un volant d’inertie pour la mobilité permet d’obtenir une assistance au redémarrage avec de l’énergie qui aurait autrement été dissipée inutilement, en chaleur, par exemple, dans les dispositifs de freinage. Entre 15 et 30% de cette force est le plus souvent ainsi sauvé.

Par rapport à un système d’hybridation classique sur lequel repose le même rôle de récupération et restitution d’énergie, on s’affranchit de tout un tas de problèmes en rapport avec la vie des batteries de traction : disponibilité de matériaux rares dont le lithium, pollution à la fabrication, recyclage des accumulateurs, etc. Aux économies en énergie – aussi bien profitable pour le budget, le climat, et la santé publique – peut s’ajouter le moindre coût du système, par comparaison à une solution technologique à base d’accumulateurs au lithium et/ou imposant une infrastructure plus largement dimensionnée pour alimenter en électricité les moteurs.

Dans un prochain article, nous développerons l’exploitation des volants d’inertie pour le stockage tampon de l’énergie produite par les sources renouvelables.