Pour faire face à ses défis énergétiques colossaux, la Chine envisage de construire une première centrale photovoltaïque dans l’espace dès 2035.

L’idée de récupérer les rayons du soleil dans l’espace pour produire de l’énergie n’est pas nouvelle. Déjà en 1925, le scientifique russe Konstantin Tsiolkovski avait imaginé le projet de capter en permanence l’énergie des rayons du soleil et de la renvoyer sur Terre sous forme d’un faisceau d’ondes.

En 1970, la NASA démontra qu’il était techniquement possible de produire de l’électricité dans l’Espace et de transmettre cette énergie vers la Terre par rayonnement, par laser ou par micro-ondes. Mais il y a 50 ans, un tel projet était inenvisageable sur le plan économique.

Un demi-siècle plus tard, les progrès, tant technologiques qu’économiques, ont été si considérables que les projets de centrale solaire spatiale ressortent des cartons. Le contexte énergétique et climatique actuel n’y est pas pour rien, et n’a fait qu’accroître l’intérêt pour cet objectif, jugé hier encore comme utopique et irréalisable.

Dans l’espace, le rayonnement solaire n’est pas réfléchi ou absorbé par l’atmosphère et les nuages : il est environ deux fois plus intense que celui qui, en moyenne, arrive à la surface de la Terre[1]. En outre si la centrale est positionnée suffisamment loin de notre planète elle ne passera jamais dans son ombre et l’énergie captée ne sera donc pas intermittente. L’idée est de placer cette station sur une orbite géostationnaire stable à une altitude d’environ 36.000 kilomètres au-dessus de la surface terrestre et d’orienter les panneaux en permanence vers le Soleil. A superficie égale, une telle installation spatiale pourrait, au final, capter huit fois plus d’énergie qu’une ferme photovoltaïque terrestre.

Des initiatives aux quatre coins du globe

Alors que la JAXA (l’agence spatiale japonaise) travaille depuis 2009 en collaboration avec dix-sept entreprises privées à un projet de centrale solaire de 1.000 mégawatts (soit l’équivalent d’un gros réacteur nucléaire) à l’horizon 2030, l’Institut de Technologie de Californie (Caltech) a annoncé en 2018 la réalisation d’un prototype spatial permettant la collecte de l’énergie solaire et sa transmission à la Terre, sans fil.

La Russie et l’Inde travaillent sur des projets similaires et la Chine a récemment annoncé qu’elle avait, elle aussi, la ferme intention de mettre sur orbite, d’ici 2035, ses premières centrales solaires spatiales. Le pays semble avoir une longueur d’avance, grâce à ses nombreuses compétences techniques dans le domaine spatial, photovoltaïque et la transmission d’énergie sans fil.

Progrès spectaculaires

Parmi les progrès de ces dernières années, la réduction du poids des modules solaires constitue une évolution capitale. Pour son prototype spatial, le Caltech travaille sur des modules pesant 800 grammes par m², alors qu’il faut compter entre 9 et 12 kg pour 1 m² de panneau photovoltaïque classique. La récente mise au point de films photovoltaïques organiques ouvre également le champ des possibles en matière de centrale solaire spatiale.

Voir aussi : Les films photovoltaïques organiques ouvrent de nouvelles perspectives aux énergies renouvelables

Ensuite, le rendement des modules a fortement évolué ces dernières années. Celui-ci peut aujourd’hui atteindre 24% grâce aux cellules solaires à hétérojonction, voire 46% avec les cellules les plus performantes en laboratoire, alors que le rendement n’est encore en moyenne que de 15% environ pour un panneau monocristallin classique.

Un coût astronomique, mais en baisse constante

Le coût par tonne de matériel transportée est une donnée fondamentale dans la faisabilité de construire une centrale solaire spatiale, mais pourrait bientôt ne plus constituer un obstacle majeur.

Avec son lanceur Ariane 5, Arianespace facture actuellement entre 8.300 et 18.700 dollars le kilogramme de matériel mis sur orbite. Le futur lanceur Ariane 6, toujours en développement, devrait permettre d’abaisser ce prix à 10.000 dollars le kilo.
Le lanceur SpaceX d’Elon Musk est venu jouer les trouble-fête en proposant entre 4.700 et 12.600 dollars le kilo de matériel embarqué, soit un tarif de 33 à 43% inférieur.

A plus long terme, l’Agence spatiale européenne, ArianeGroup et le CNES travaillent ensemble au développement d’un lanceur réutilisable. Il devrait être opérationnel à l’horizon 2030. Le consortium sera alors en mesure de proposer 5.000 dollars le kilo lancé en orbite, soit un prix moitié moins cher que celui d’Ariane 6.

Mais à 10.000 dollars le kilo, le coût de l’assemblage d’une station d’un mégawatt, dont le poids est estimé par les ingénieurs chinois à 1.000 tonnes pour une centrale de 5 km², s’élèverait encore à 10 milliards de dollars.

Et le bilan carbone dans tout cela ?

Bien qu’il n’existe aucune étude précise à ce sujet, la question du temps de retour carbone reste entière pour ce projet : combien de lanceurs faudra-t-il propulser dans l’Espace pour transporter 1.000 tonnes de matériel ? Avec quel carburant, et avec quel impact en matière de gaz à effet de serre ?
Il est fort probable que le bilan carbone soit nettement moins positif que celui de la simple pose des panneaux photovoltaïques sur nos bonnes vieilles toitures de hangars.

Toutefois, la situation de la Chine permet de considérer le projet d’un autre regard. En 2018, les centrales électriques au charbon de la Chine produisaient 1027 gigawatts, représentant 4,6 milliards de tonnes de charbon.
Alors qu’elle est le premier consommateur de charbon (50,5% de la consommation mondiale), et que son utilisation a encore augmenté de 4% en 2019, la Chine ne va plus pouvoir assurer son développement économique à partir de ce combustible fossile pour des raisons à la fois économiques (le renouvelable est à présent moins cher), sanitaires (plus de 3 millions de décès prématurés sont causés par un niveau de particules fines supérieur à celui que recommande l’OMS), mais surtout climatiques. L’Empire du milieu est en effet responsable de 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’origine humaine. L’impact environnemental d’une centrale photovoltaïque spatiale devrait dès lors être comparé aux émissions importantes de CO2 dont sont responsables les centrales au charbon.

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Par ailleurs, nous n’ignorons pas qu’outre les besoins énormes de la Chine en matière de production d’énergie, les projets de centrale solaire spatiale permettent de reverdir l’image du pays, mais surtout répondent également à un besoin géostratégique d’affirmer sa puissance au niveau mondial, et de devenir un fournisseur incontournable d’énergie propre.

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[1] A la limite de l’atmosphère, la puissance du rayonnement solaire incident est de 340 W/m2, mais environ 23 % sont réfléchis par les nuages et l’atmosphère et 23% sont absorbés par celle-ci.