Inviter les citoyens à une certaine sobriété énergétique est-il compatible avec le choix de laisser tourner les moteurs des voitures afin que les ministres bénéficient de la climatisation dès leur sortie de leur réunion à l’Élysée ? Porte-parole du gouvernement, Olivier Véran s’est rapidement exprimé à ce sujet après la diffusion d’une vidéo témoignant de ce gaspillage de carburant. Billet.

Un hiver qui s’annonce compliqué

Depuis quelques années, les médias généralistes ont pris l’habitude d’alerter sur de possibles, si ce n’est probables, problèmes d’approvisionnement en électricité à l’hiver venu. Et finalement ça passe.

C’est un peu le même refrain pour la saison 2022-2023. Mais cette fois-ci, les risques sont beaucoup plus élevés et bien plus palpables. Par exemple, ces entreprises qui s’inquiètent pour la première fois en 2022 du fonctionnement de leurs installations avec une tension inférieure à celle habituellement garantie.

S’il n’y avait pas eu cette aggravation sur le marché des énergies causée durablement par l’invasion russe en Ukraine, le réseau national aurait sans doute encore relativement bien encaissé la fermeture du site nucléaire de Fessenheim, des centrales fonctionnant au fioul et au charbon, et le retard pris dans le développement des énergies renouvelables.

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Des appels qui se multiplient

Depuis quelques semaines, les appels à la sobriété énergétique se multiplient, portant globalement sur l’électricité, les carburants et le gaz. Tout est parti en avril d’un décret de délestage ciblant les gros consommateurs. Fin juin, une tribune au ton alarmant était signée par les dirigeants d’EDF, Engie et TotalEnergies. Quelques jours plus tard, le message s’amplifiait en étant alors porté par 84 chefs d’entreprise.

Le 14 juillet, Emmanuel Macron, président de la République française, a annoncé le lancement d’un grand plan sur 2 ans pour lequel des efforts seraient demandés afin de réduire les consommations d’énergie. Le lendemain, Agnès Pannier-Runacher voulait persuader, après avoir présenté une rapide feuille de route avec une première marche à -10 % de suite et -40 % pour 2050 : « 40 % c’est gigantesque, et il faut s’y mettre tout de suite ».

Le détail du programme se voulait cohérent, en s’attaquant d’abord à l’État, aux administrations et aux ministères. « Nous devons être exemplaires », avait souligné la ministre de la Transition énergétique. Et de donner quelques exemples précis, dont celui-ci : « La chasse au gaspi, ça commence tout de suite avec la climatisation ». Message relayé le 20 juillet par Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, à destination des citoyens plus particulièrement.

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C’est l’affaire de tous

Après avoir également cité la mobilisation des professionnels, Agnès Pannier-Runacher n’a pas manqué d’indiquer : « Ça sera l’affaire de tous ». Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais chez moi, ces appels ne sont pas restés lettre morte. Ils ont même été devancés. Ma chaudière au gaz est, par exemple, éteinte depuis quasiment 2 mois. Les douches, la vaisselle, et le ménage sont donc effectués à l’eau froide.

Pas de climatisation, mais les volets et fenêtres fermés lorsque le soleil tape dessus ou que la température externe est supérieure à celle de la maison. Une serviette mouillée est à disposition pour se rafraîchir. L’éclairage est peu utilisé, procuré par des ampoules LED, et le four est en vacances. Ces gestes ne sont pas nouveaux dans mon foyer, puisqu’ils ont commencé en 2007 avec l’arrivée dans la famille de la première voiture électrique.

À l’époque, nous avions lancé un challenge que nous avons réussi très vite : réduire la consommation énergétique de la maison à la hauteur de celle dédiée à la recharge des batteries. Depuis un peu plus d’un mois, le kilométrage mensuel du nouveau modèle branché a même été divisé par 2. Et la climatisation n’est jamais mise en route dans l’habitacle.

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Un passe-droit accordé aux ministres ?

Lorsque l’on s’est déjà engagé dans une telle démarche de sobriété, il est tout à fait insupportable de constater le gaspillage récurrent ici ou là. En passant devant une voiture dont le moteur est allumé en attendant quelqu’un, souvent pour bénéficier de la climatisation, je me dis : « Le gazole n’est vraiment pas encore assez cher ! Pas assez cher pour que le conducteur soit acteur du combat climatique ! Pas assez cher pour qu’il comprenne l’urgence de la sobriété énergétique ».

Que penser alors quand une quinzaine, et peut-être davantage, de voitures attendent, moteurs thermiques actifs, les ministres retenus en conseil à l’Élysée ? Le Globe, qui a publié sur son compte Twitter une vidéo d’une dizaine de secondes à ce sujet, précise que la température extérieure n’était que de 28°C. Où est la cohérence, où est l’engagement du gouvernement en matière de sobriété énergétique ?

En février, la présidence française de l’Union européenne avait également été épinglée en utilisant des groupes électrogènes fonctionnant au gazole pour recharger les voitures électriques des ministres des Affaires étrangères et de la santé des états membres réunis au palais des congrès de Lyon. Le tir avait alors heureusement été rectifié le mois suivant en exploitant à Versailles la station mobile Drop’n Plug.

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Engagement ou pirouette ?

Devant la polémique, Olivier Véran a de suite reconnu l’incohérence. Remerciant les journalistes qui ont dénoncé la situation, il a mis en avant que c’est grâce à ce genre d’épisodes « qu’on avance ». Avec une confiance qui s’appuie sur la vigilance des témoins extérieurs : « À chaque fois qu’on ne le fera pas [NDLR : Changer de comportement], vous ne nous raterez pas [NDLR : Les journalistes] ».

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement français

Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement français.

Alors : véritable engagement ou pirouette ? Plusieurs médias ont mis en perspective une scène similaire relevée en 2019 par le journaliste et député François Ruffin. Il avait alors reçu une réponse moins convaincante de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation. Quoi qu’il en soit, le nouveau couac témoigne qu’en matière de transition et sobriété énergétiques la route semble longue alors que l’urgence est à notre porte.

S’il n’est pas à espérer, sans doute qu’un black-out rendrait la situation plus concrète à ceux qui peinent à agir. Ce serait vraiment dommage et catastrophique d’en arriver là. Alors, messieurs les ministres et représentants de l’autorité, montrez l’exemple, bien avant que d’inviter les citoyens aux sacrifices ! C’est véritablement ainsi que les choses avancent.