L’hydrogène est au cœur des débats de la transition énergétique, et notamment sa version dite « propre », c’est-à-dire non issues de sources carbonées. Parmi les axes de développement, l’hydrogène dit naturel, ou « hydrogène blanc », a fait parler de lui, à la suite de découvertes nombreuses ces dix dernières années. Où en sommes-nous quant à l’évaluation de son potentiel ?

L’origine de l’hydrogène naturel

Pour être en mesure d’estimer la quantité d’hydrogène naturel disponible, il est nécessaire d’étudier son origine. En pratique, au contraire du pétrole ou du gaz, l’exploration de l’hydrogène n’a commencé que très récemment, et il s’agit d’une science neuve. Aucune connaissance ne peut encore être considérée comme tout à fait établie.

Ainsi, les hypothèses sur l’origine de l’hydrogène naturel sont nombreuses : dégazage de l’hydrogène primordial stocké dans le cœur et le manteau de la Terre, diverses réactions de l’eau avec des roches à différentes profondeur de notre sous-sol, radiolyse de l’eau, ou encore produit d’une activité biologique ou de la décomposition de matières organiques. Parmi elles, d’après France Hydrogène, deux hypothèses principales semblent se dégager.

La première hypothèse est celle d’un processus dit de « serpentinisation », c’est-à-dire d’oxydation par l’eau de roches très pauvres en silice (SiO2) et contenant des ions ferreux (Fe2+) – ces roches sont dites « ultrabasiques ». Cette réaction produit un minéral connu sous le nom de serpentine, dont la forme gemme, proche du jade, est utilisée notamment en joaillerie bijouterie. La réaction produit par la même occasion de l’hydrogène, lequel s’échappe ensuite vers la surface.

À lire aussi L’hydrogène pour sauver le climat : une fausse bonne idée selon certains scientifiques

Vient ensuite l’hypothèse de l’hydrogène primordial, c’est-à-dire l’hydrogène qui aurait été piégé dans le noyau de la Terre lors de la formation de cette dernière. L’hydrogène y aurait été lié avec le fer et le nickel, et aurait formé des hydrures, stables dans les conditions de très fortes pression et température qui y règnent.

Comme le relève l’association France Hydrogène, cette hypothèse a le mérite de résoudre une énigme scientifique : « L’ajout d’hydrogène dans le noyau terrestre permet de résoudre l’énigme de la densité de ce dernier, qui est 10 % inférieure de celle de l’alliage Fe-Ni (qui est supposé constituer le noyau, mais dont les propriétés ne correspondent pas aux données d’études sismiques). » [1] Le dégazage progressif de ces hydrures vers la surface constituerait alors une source permanente d’hydrogène.

L’étendue de la ressource

Les hypothèses citées permettent d’établir une première conclusion : la quantité d’hydrogène naturel théoriquement disponible sur Terre est gigantesque. Le noyau de la Terre pèse en effet plusieurs milliers de milliards de milliards de tonnes, et d’après l’hypothèse citée ci-dessus, l’hydrogène y serait assez abondant pour influencer sa densité. Pour constituer un gisement, il faut toutefois que cet hydrogène soit accessible à nos moyens humains, et, bien entendu, il n’est pas envisageable d’exploiter le noyau terrestre avec nos technologies actuelles. Nous ne pouvons donc exploiter que la part de l’hydrogène dégazée par le noyau de la Terre, et qui atteint la surface.

À lire aussi Tout savoir sur l’hydrogène, ses bons et ses moins bons usages

Par ailleurs, très léger et volatile, l’hydrogène monte jusqu’au sommet de l’atmosphère, y est dispersé par le vent solaire et éliminé dans l’espace. L’hydrogène n’est donc présent que de manière transitoire dans notre atmosphère.

Nous en arrivons à une seconde conclusion : l’hydrogène naturel doit être considéré comme un flux, plutôt que comme un stock. Cela en fait en principe une ressource renouvelable. Une telle source d’énergie est limitée par le flux lui-même, ainsi que par notre capacité à le capter et à l’utiliser. Pour prendre une analogie avec l’énergie hydraulique, nous sommes limités par la force motrice du cours d’eau existant, et par notre capacité à construire une installation efficace pour capter cette force motrice.

Quelle quantité d’hydrogène serait exploitable ?

Il s’agit d’une question à laquelle il est encore difficile de répondre. Le Dr Viacheslav Zgonnik, fondateur de la société Natural Hydrogen Energy LLC, a étudié avec d’autres chercheurs des structures circulaires en Russie, lesquelles produisent de grandes quantité d’hydrogène. Ils rapportent dans leur article de 2014 publié dans la revue Natural Resources Research, une production d’hydrogène de l’ordre de 22 000 m³ par jour pour l’une d’entre elles. Cela représente environ 700 t/an. L’équipe a identifié des milliers de telles structures, dont les tailles sont très variables.

Les cercles oranges soulignent le pourtour des structures circulaires d’où est émis de l’hydrogène naturel / Image : Larin et al 2014 in Natural Resources Research.

Olivier Lhote, responsable de l’hydrogène naturel chez Engie, et cité par Hynat [2] indique : “nous pensons qu’il y a plusieurs dizaines de millions de tonnes d’hydrogène naturel qui sont émises chaque année dans l’atmosphère.” Un flux de plusieurs dizaines de millions de tonnes par an représente l’ordre de grandeur de notre consommation en hydrogène aujourd’hui.

Reste à savoir comment ce flux d’hydrogène pourra être capté, et quelle proportion en sera accessible. Olivier Lhote précise que cette donnée n’est pas encore disponible : “la quantité d’hydrogène qui reste piégée sous terre dans des accumulations et qui serait exploitable, reste la grande inconnue”.

À lire aussi L’avion à hydrogène est une chimère !

Il faut noter qu’en principe, ces accumulations pourraient être continuellement renouvelées par la production souterraine d’hydrogène. Comme le souligne le Dr Alain Prinzhofer, géologue expérimenté aujourd’hui affilié à l’Institut de physique du globe de Paris, également cité par Hynat [2] : “Dans le puits exploité au Mali, la quantité de gaz est restée constante au fil des années et la pression augmente. Il faut donc parler de flux et non de stock”.

Dans un article de synthèse de 2020 paru dans la revue Earth-Science Reviews, le Dr Viacheslav Zgonnik propose une carte de toutes les occurrences identifiées de différentes sources d’hydrogène naturel dont la concentration est supérieure à 10 %.

Crédit : Zgonnik 2020 in Earth-Science Reviews.

Le fait que l’essentiel de ces sources se trouvent en Eurasie est la conséquence du fait que la plupart des explorations ont été menées là-bas. Quand on cherche, on trouve…

En conclusion

Aujourd’hui, en début 2023, les spécialistes ne se prononcent pas encore de manière très précise sur le potentiel réel de l’hydrogène naturel. Il s’agit de la conséquence du fait que la géologie de l’hydrogène naturel est une science neuve. Nous en restons donc à des pistes, lesquelles sont toutefois prises au sérieux par des universitaires et des entreprises de toutes tailles.

Nous parlons d’une discipline récente, et il faut donc s’attendre à des surprises – qui peuvent aller dans les deux sens ! Et même s’il est encore difficile de conclure sur le potentiel réel de l’hydrogène naturel, ce secteur bouge très vite, et le sujet de l’hydrogène naturel mérite de rester très attentif.

À lire aussi Le Royaume-Uni veut produire de l’hydrogène dans ses éoliennes offshore

Pour aller plus loin, le lecteur curieux pourra se reporter aux sites internet des différentes entreprises citées : Hydroma, Hynat, 45-8 Energy et Natural Hydrogen Energy LLC. L’association France Hydrogène fournit une fiche de synthèse d’un grand intérêt. Par ailleurs, les professeurs Delville et Prinzhofer ont publié en 2015 chez Belin un ouvrage au sujet de l’hydrogène naturel, intitulé Hydrogène naturel. La prochaine révolution énergétique ?

[1] https://www.france-hydrogene.org/technical-sheet/3-4-lhydrogene-naturel/
[2] https://hynat.com/2021/08/26/et-si-lhydrogene-naturel-etait-le-game-changer-de-la-transition-energetique/