Dans les débats, il y a souvent d’un côté, les pronucléaires et de l’autre, les partisans des énergies renouvelables. Et pas mal de postures qui ont installé dans les esprits, une opposition qui n’est pas objectivement fondée. Une opposition entre nucléaire d’une part et solaire et éolien de l’autre qui nuit finalement à la compréhension des véritables enjeux de notre transition énergétique.

La Chine se présente aujourd’hui parmi les plus importants investisseurs aussi bien dans l’éolien et dans le solaire que dans le nucléaire. Elle n’est pas la seule. Le développement des énergies renouvelables n’entrave généralement pas celui du nucléaire. Et vice versa. Pourtant, à suivre les débats sur la transition énergétique en France, on a l’impression qu’il faut faire un choix. Le sentiment qu’il faut nécessairement prendre parti pour l’un de ces deux camps que tout oppose. Que tout oppose ? À y regarder de plus près, rien n’est moins sûr.

Nucléaire et énergies renouvelables sur un pied d’égalité ?

D’abord, parce que le nucléaire comme les énergies renouvelables sont des moyens de produire une électricité bas-carbone. 7 grammes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2) par kilowattheure produit (gCO2e/kWh). C’est le chiffre que retient RTE pour l’empreinte carbone du nucléaire. Pour le solaire, le gestionnaire du réseau français avance un chiffre de 43 gCO2e/kWh et pour l’éolien, une empreinte comprise entre 14 et 16 gCO2e/kWh selon qu’il est offshore ou terrestre. Des chiffres proches les uns des autres, mais que l’on peut en revanche opposer à ceux du gaz (400 gCO2e/kWh) ou du charbon (1 000 gCO2e/kWh).

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Compte tenu des risques que fait planer sur nous le réchauffement climatique anthropique et de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons à le limiter, de nombreux experts s’accordent à dire qu’opposer nucléaire et énergies renouvelables est un combat que nous ne pouvons plus nous permettre de mener. Pour sauver notre climat, nous aurons besoin de mobiliser — à des niveaux qui restent à définir — toutes les solutions bas-carbone à notre disposition. C’est d’ailleurs bien l’idée qui se cache à peine derrière l’expression « mix énergétique » — ou plus précisément « mix électrique », dans le cas présent.

D’autant que le changement climatique pourrait mettre à mal aussi bien le nucléaire et que les énergies renouvelables. Si le débit de nos rivières diminue, il pourrait devenir plus difficile de refroidir nos centrales nucléaires. Pas, tout de même, jusqu’à craindre pour leur sûreté. Les panneaux solaires, eux, pourraient être plus soumis à des risques de grêle ou de tempêtes de sable et perdre en efficacité avec l’augmentation des températures. Tous ces points, les équipes de recherche et développement (R&D) les intègrent désormais lorsqu’ils imaginent les installations de demain. Du nucléaire, du solaire ou de l’éolien qui devient résilient au changement climatique.

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Des forces et des faiblesses

Alors, il y a ceux qui veulent opposer les énergies renouvelables au nucléaire, car les premières seraient « propres » et sans risque, et que le spectre de l’accident nucléaire plane sur le second qui, en plus, produit au quotidien, de dangereux déchets radioactifs. La peur n’étant que rarement bonne conseillère, rappelons ici d’abord que si la radioactivité est par essence dangereuse, elle n’en représente pas moins un risque faible lorsqu’elle est exploitée dans une centrale moderne afin de produire de l’électricité.

Des mesures redondantes doivent permettre d’éviter les accidents. Et le cas échéant, d’en limiter les impacts. En France, au moins. Quant à la question des déchets radioactifs, il est intéressant de rappeler que leur quantité reste faible et que des solutions sont mises en œuvre pour leur traitement. Au fil du temps, les procédés s’améliorent et les impacts de ces déchets diminuent.

Il est aussi intéressant de rappeler que les énergies renouvelables ne sont peut-être pas si propres que ça. Des questions sont posées quant à leurs impacts sur la biodiversité. Sur la mortalité des chauves-souris, entre autres volatiles, concernant les éoliennes. Ou à l’heure où l’on envisage de raser des centaines d’hectares de forêt pour y installer des panneaux solaires. Parce que l’empreinte au sol de ces énergies renouvelables est plus importante que celle du nucléaire. L’extraction des matériaux nécessaires à la production solaire et éolienne menacerait environ 40 millions de km² sur notre Terre et au fond de nos mers, selon cet article de la revue Nature. De ce point de vue, les énergies renouvelables n’ont pas forcément grand-chose à envier au nucléaire toutefois. L’extraction de l’uranium venant régulièrement perturber la quiétude et polluer l’environnement de peuples autochtones déjà fragilisés.

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Autre point régulièrement mis en avant, la rapidité et l’universalité avec laquelle les énergies renouvelables peuvent être déployées. Alors même que construire une centrale nucléaire prend du temps. Et qu’il est difficile d’envisager d’en construire dans n’importe quel pays du monde. Dans certaines régions, la stabilité politique, sociale et les standards de sûreté laissent en effet à désirer. Mais quand on y regarde de plus près, le déploiement d’énergies variables que sont le solaire et l’éolien n’est pas aussi simple et rapide qu’il y paraît.

C’est d’abord la question des coûts qui va nous intéresser également. Voici maintenant plusieurs années que les coûts des productions renouvelables baissent. Tant et si bien qu’ils semblent aujourd’hui inférieurs à ceux du « nouveau nucléaire ». Ils semblent ? Oui, parce que c’est un peu oublier l’épine plantée dans le pied de ces énergies renouvelables. Leur intermittence qui demande notamment de leur adjoindre d’importantes capacités de stockage et des systèmes de flexibilité du réseau.

De quoi faire grimper les coûts globaux du solaire et de l’éolien. Et envisager que le coût de ces énergies renouvelables aujourd’hui est surtout bas parce qu’elles s’intègrent sur un réseau existant, qui inclut une base solide de production pilotable : le nucléaire, en France… Dont le coût, lui, augmente. Parce que la construction et l’entretien des infrastructures sont lourds. Parce que la mise à l’arrêt régulier des centrales vieillissantes fait monter les prix. Mais aussi parce que le nucléaire doit de plus en plus adapter sa production… aux productions variables des énergies renouvelables. Ainsi le coût de l’un, finalement, dépend-il un peu aussi… du coût des autres !

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La transition énergétique plus forte que l’opposition nucléaire/énergies renouvelables

Ainsi, si la tentation de placer les énergies renouvelables dans le camp du bien et le nucléaire dans celui du mal – ou inversement — existe, la réalité, elle, est bien plus complexe et nuancée. Il ressort de nombreux scénarios étudiés par les experts que produire une large part de son électricité à partir de sources renouvelables est plus simple, meilleur marché et potentiellement même plus écologique si l’on dispose aussi d’une part de production pilotable décarbonée, comme le nucléaire. Parce que cela permet de s’économiser — dans tous les sens du terme — la mise en œuvre d’un colossal réseau de stockage et d’interconnexions, entre autres.

C’est alors le nucléaire qui est chargé d’absorber l’intermittence des énergies renouvelables. De produire quand il n’y a pas de soleil et de s’effacer lorsque le vent souffle. Il en a la capacité et le fait déjà, tout particulièrement en France, même si l’intérêt d’une telle stratégie est encore discuté. Et les chercheurs du CEA travaillent même déjà à rendre le nucléaire et les énergies renouvelables toujours plus complémentaires. Grâce à des « flex fuels » (combustibles flexibles) capables de supporter des montées et des descentes en puissance de plus en plus fréquentes. Une autre stratégie consiste également à placer le nucléaire en base de production invariable, en l’associant au duo renouvelable et stockage pour suivre la demande du réseau.

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Une fois ces considérations techniques intégrées, la part de nucléaire et d’énergie renouvelables dans notre mix électrique semble vouloir être réellement guidée par un choix de société. Par le niveau de sobriété que nous sommes prêts à accepter, par le poids que nous voulons donner à notre industrie et par nos ambitions en matière d’indépendance.

Ce qu’il faut retenir de tout cela ? C’est qu’il n’existe pas de solution miracle. Une source d’énergie qui résoudrait à elle seule tous nos problèmes. Et à la question : « Nucléaire ou renouvelables ? », nous serions peut-être finalement bien inspirés de répondre : « Les deux, mon Capitaine ! » Une manière aussi de ne pas oublier que les enjeux de notre transition énergétique ne s’arrêtent pas à ceux de notre production d’électricité. De ne pas nous perdre dans des débats d’opposition aussi dogmatiques que vains alors que les questions de décarbonation des transports et de l’industrie notamment resteraient sans réponse.