La géothermie, c’est l’une des énergies renouvelables pilotables qui pourrait nous aider à atteindre nos objectifs de lutte contre le changement climatique. Mais son exploitation pose parfois problème, en raison des séismes qu’elle peut provoquer. Ioannis Stefanou, professeur des Universités à Centrale Nantes, nous explique comment le projet de recherche qu’il vient de lancer pourrait enfin libérer cette énergie cachée dans les entrailles de notre Terre.

Produire de l’énergie par géothermie, c’est exploiter la chaleur stockée dans les sous-sols. Une chaleur renouvelable — car alimentée par la désintégration radioactive des isotopes à l’intérieur de la Terre — et disponible à tout moment. Les Romains l’exploitaient déjà pour chauffer leurs thermes. Et sur le papier, les ressources géothermiques seraient suffisantes à couvrir l’ensemble de nos besoins énergétiques. Pourtant, elles restent encore peu exploitées.

« Le problème de la géothermie profonde — comme des projets de stockage d’énergie ou de dioxyde de carbone (CO2) dans la croûte terrestre —, c’est qu’aujourd’hui, on ne sait pas comment l’exploiter… sans provoquer de séisme », nous explique en introduction Ioannis Stefanou, professeur des Universités à Centrale Nantes. Avec son équipe, il a développé un projet financé par le très exigeant Conseil européen de la recherche. Un projet qui vise à essayer de trouver des solutions à cette problématique, « en utilisant une approche basée sur les mathématiques, des simulations numériques et des expériences en laboratoire. » L’ambition, c’est de déterminer enfin « s’il est possible ou non de déverrouiller l’exploitation de ces ressources naturelles très prometteuses ».

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Des résultats sur une faille naturelle

Rappelons que le principe de la géothermie, c’est d’injecter de l’eau froide sous pression dans un forage pour récupérer, dans un autre forage, une eau naturellement chaude qui remonte des profondeurs de la Terre. Or, quand on injecte des fluides dans le sous-sol, on fait monter la pression. « Ce faisant, on réactive des failles. On les fait glisser. C’est ainsi qu’on provoque des séismes », nous explique Ioannis Stefanou. « Au contraire, lorsqu’on pompe un fluide, on retient le glissement d’une faille. Ainsi, en principe, en jouant sur la façon d’injecter les fluides dans la croûte terrestre, on pourrait réussir à contrôler le phénomène. Jusqu’à faire glisser les failles tellement lentement que les séismes résultants soient indétectables. On pourrait alors éviter la sismicité d’origine humaine tout en garantissant la circulation des fluides dans la croûte terrestre et donc, la production énergétique. »

Les chercheurs ont déjà mis leurs théories à l’épreuve de la réalité sur une faille naturelle. Ils ont démontré comment il est possible d’injecter des fluides sans pour autant déclencher le glissement brutal d’une faille. Comment il est possible de la faire glisser tout doucement, de façon contrôlée. Grâce à plusieurs forages précisément positionnés le long de la faille. « Nous avons en quelque sorte inventé le régulateur de vitesse pour failles naturelles », plaisante le professeur des Universités. « En théorie, cela pourrait même nous permettre d’éviter les séismes naturels. »

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Des failles naturelles à la géothermie

Pas de quoi, pourtant, crier victoire sur le sujet qui nous intéresse ici. Parce que la faille étudiée par les chercheurs, comme toutes les failles naturelles, était relativement grande, bien identifiée et exactement localisée. Les séismes induits par les activités humaines, eux, sont liés à des failles plus petites et plus nombreuses, dont on ignore a priori tout de la localisation. « L’application directe des résultats obtenus sur la faille naturelle à la problématique de la géothermie n’est pas possible », nous confirme Ioannis Stefanou.

« D’autant que dans nos travaux sur la faille naturelle, nous cherchions seulement à la faire glisser lentement, sans nous soucier des incidences sur les taux d’injection ou de pompage. Cette fois, ce qui nous intéresse, c’est de maximiser la production énergétique — ou la capacité de stockage en sous-sol. Il nous faut donc aussi penser à optimiser l’injection et le pompage des fluides de ce point de vue. Et les deux mécanismes sont, sur le papier, un peu en compétition. »

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L’objectif sera donc, soit de trouver le meilleur compromis entre ces deux mécanismes — glissement de la faille et injection/pompage —, soit de les découpler. « Trouver de quelle façon l’un pourrait arrêter d’influencer l’autre », nous confie Ioannis Stefanou. Mais pour en savoir plus, il faudra le réinterroger d’ici deux ou trois ans. Le temps que son nouveau projet INJECT financé par le Conseil européen de la recherche — d’une durée totale de cinq ans — génère de premières pistes.