📣 La phrase : « l’uranium de retraitement est aujourd'hui entreposé en hangar sans aucune perspective réelle d'utilisation. Il devrait donc être comptabilisé comme un déchet nucléaire, pour davantage de transparence sur leur gestion et leurs coûts. »


🗞️ La source : un post de Greenpeace France publié sur X (ex-Twitter) le 16 novembre 2021.
ℹ️ Le contexte : l’uranium de retraitement est un produit du traitement des combustibles usés à la Hague. Sa valorisation est une composante de la stratégie de recyclage du combustible usé en France. La filière de valorisation a été suspendue en 2013, et vient d’être redémarrée en 2024.
⚖️ Le verdict : Il est vrai que la filière de l’uranium de retraitement avait été suspendue lors du post de Greenpeace, conduisant à l’accumulation d’un stock. Toutefois, la filière n’était que suspendue, et l’uranium de retraitement a d’importantes perspectives d’utilisation.

📣 La phrase : « l’uranium de retraitement est aujourd'hui entreposé en hangar sans aucune perspective réelle d'utilisation. Il devrait donc être comptabilisé comme un déchet nucléaire, pour davantage de transparence sur leur gestion et leurs coûts. »

Qu’est-ce que l’uranium de retraitement ?

Après son utilisation dans un réacteur nucléaire, le combustible nucléaire est un objet très radioactif, et dont la composition a changé du fait des réactions nucléaires. En ce qui concerne le combustible usé consommé en France, il fait l’objet, après utilisation, d’un traitement systématique dans l’usine d’Orano à La Hague.

Ce traitement consiste tout d’abord à séparer les matières nucléaires des matériaux de structure. Ces derniers sont ensuite compactés pour être intégrés dans des colis spécifiques destinés au stockage en couche géologique profonde. Les matières nucléaires, quant à elles, font l’objet d’un processus de tri et de recyclage visant à les valoriser.

On trouve dans leur composition du plutonium (1 %), de l’uranium (95 %), le reste étant constitué de substances appelées actinides mineurs (américium, curium, neptunium, …) et produits de fission. Actinides mineurs et produits de fission ne sont pas valorisables dans l’état actuel des technologies disponibles. Ces substances sont donc vitrifiées et destinées, elles aussi, au stockage en couche géologique profonde. Le plutonium est recyclé pour constituer le combustible MOX (pour Mixed Oxide), fabriqué à l’usine de Mélox, en bordure du site de Marcoule. Quant à l’uranium restant, qui constitue près de 95 % de la masse, il est destiné à être valorisé, et c’est précisément ce qu’on appelle l’uranium de retraitement (URT).

Une valorisation dans les réacteurs actuels

L’uranium de retraitement a des caractéristiques proches de celles de l’uranium naturel. Il a donc le même potentiel énergétique que ce dernier, et il constitue donc une ressource importante. Il peut être réenrichi pour produire de nouveaux combustibles nucléaires destinés aux centrales existantes, combustible alors appelé uranium de recyclage enrichi (URE).

Historiquement, la France a effectué l’enrichissement de l’uranium naturel dans l’usine George Besse, située sur le site de Tricastin. Cette usine utilisait le procédé de diffusion gazeuse, un procédé relativement monolithique qui n’était pas utilisable pour l’uranium de retraitement. En effet, si ce dernier est proche de l’uranium naturel, il comporte néanmoins quelques isotopes de l’uranium qui se seraient ensuite disséminés dans l’ensemble de l’uranium enrichi, ce qui n’était pas souhaitable.

L’opération était donc réalisée en Russie : l’uranium de retraitement était expédié à l’usine de Seversk, filiale de Rosatom située en Sibérie. Il y était enrichi, puis était retourné en France pour être consommé dans les réacteurs du parc actuel. Ce fonctionnement a perduré de 1994 à 2013, avant d’être suspendu. Puis avant de redémarrer, très récemment. C’est en effet, en février 2024, que le réacteur n°2 de la centrale de Cruas-Meysse a démarré avec une première recharge d’uranium de recyclage enrichi.

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Des perspectives importantes pour l’uranium de retraitement

Aujourd’hui, les 4 réacteurs de la centrale de Cruas-Meysse sont d’ores-et-déjà certifiés pour recevoir de l’uranium de recyclage enrichi. D’ici 2027, EDF souhaite étendre son utilisation aux réacteurs de 1300 MW des centrales de Cattenom et de Paluel. Puis d’ici 2030, l’énergéticien espère être en mesure d’utiliser 30 % d’uranium de retraitement dans ses centrales.

Par ailleurs, l’usine George Besse, qui ne pouvait effectuer l’enrichissement de l’uranium de retraitement a été arrêtée en 2012. Elle a été remplacée depuis lors par l’usine George Besse II. Cette dernière bénéficie d’un procédé d’ultracentrifugation, plus modulaire, qui permet le réenrichissement de l’uranium de retraitement. Et ce, sans passer par les installations russes.

Enfin, outre l’usage en tant qu’uranium de recyclage enrichi dans les centrales actuelles, l’uranium de retraitement peut être utilisé dans des réacteurs de Génération IV dans le cadre de cycles de surgénération. Dans ce type de réacteurs, la partie non fissile de l’uranium peut être transformée en isotopes fissiles, démultipliant ainsi l’énergie disponible, d’un facteur compris entre 50 et 100 fois. Si bien que le stock d’uranium de retraitement est considéré par les autorités françaises non comme un stock inutile, mais comme une réserve stratégique précieuse.

Une ressource ou un déchet ?

Au moment du Tweet de Greenpeace, le 16 novembre 2021, il peut être factuellement affirmé que l’uranium de retraitement n’était utilisé dans aucun réacteur français ; en effet la filière avait été suspendue de 2013 à 2024. Par ailleurs, les réacteurs français susceptibles d’utiliser l’uranium de retraitement en surgénération, à savoir Phénix et Superphénix, avaient eux aussi été arrêtés, respectivement en 2009 et en 1997. Le projet Astrid, qui devait prendre leur relève, avait été lui aussi arrêté en 2019.

Dans l’intervalle, il est donc vrai également qu’un stock d’uranium de retraitement s’est accumulé. Ce stock s’accroit de 1000 t par an, et a atteint environ 20 000 t. Toutefois, il est faux d’affirmer qu’il n’existait aucune perspective réelle, pour preuve le redémarrage de la filière de l’uranium de retraitement en 2024. Ce genre de changement ne s’improvise pas et les études avaient démarré bien avant. Par ailleurs, cela revient à négliger le progrès significatif pour la filière française que constitue l’usine d’enrichissement de George Besse II et sa capacité à réenrichir l’uranium de retraitement.

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Quand est-ce qu’une matière nucléaire est une ressource ou un déchet ? Faut-il considérer que la suspension d’une filière pendant une dizaine d’années est constitutif de l’absence de « perspective réelle » ? Là est le nœud de la question. Pour Greenpeace, historiquement opposé au nucléaire, la réponse est oui. L’Autorité de sûreté nucléaire française considère quant à elle : « que la valorisation d’une matière radioactive peut être considérée comme plausible si l’existence d’une filière industrielle d’utilisation de cette matière est réaliste à un horizon d’une trentaine d’années, et que cette valorisation porte sur des volumes cohérents avec les stocks de matière détenus et prévisibles. […] En tout état de cause, l’absence de perspective d’utilisation à l’horizon d’une centaine d’années doit conduire à requalifier la substance en déchet. ».

Dix ans ? Ou trente ans ? Ou cent ans ? Ce sont des débats qui peuvent parfois paraître byzantins. Au-delà de la recherche d’une valeur exacte à l’année près qui n’aurait de toute façon aucun sens, il traduit un point qui n’est pas sans intérêt : il n’est pas tout à fait faux de dire que sans projet concret de valorisation, il est difficile d’affirmer qu’un déchet est une ressource. Toutefois, le redémarrage de la filière en 2024 permet sans doute de clore ce point. Pour un certain nombre d’années.

Les infox de l'énergie, c'est quoi ?

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