Le transport maritime se doit aussi de relever le défi de la transition énergétique. Pas facile, quand l’on utilise des moteurs aussi gourmands en énergie qu’une petite ville en autonomie durant plusieurs jours, de passer au zéro-carbone. Pour y parvenir, le secteur choisira-t-il le nucléaire ou la voile ? Peut-être les deux, mon capitaine !

Si le transport maritime était un pays, il serait le 6ᵉ plus polluant au monde. Des émissions dues à 80 % aux porte-conteneurs. Et cela pourrait même empirer. Puisque la tendance est clairement à l’augmentation des volumes de marchandises transportés : +250 % sur les 40 années à venir, entrevoient les experts du GIEC. De quoi, selon l’Organisation maritime internationale, multiplier les émissions de gaz à effet de serre du secteur par deux d’ici 2050. On comprend l’urgence à trouver des solutions.

Parmi elles, il y a le circuit court. Car ce sont les produits « exotiques » qui sont transportés par la mer. Consommer local permet de limiter le trafic maritime et mécaniquement, ses émissions. Il faut toutefois noter que déjà, la quantité de CO₂ émise par tonne de marchandise transportée et par kilomètre a été réduite de 20 à 30 % sur la décennie 2010. Grâce à la modernisation des porte-conteneurs.

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Selon les experts, des points peuvent encore être gagnés en réduisant les vitesses de croisière, en adoptant des designs plus efficaces ou même en adaptant les routes aux conditions météo. Le remplacement du fioul lourd par du gaz naturel liquéfié (GNL) permet lui aussi une réduction des émissions de l’ordre de 20 %. Mais on reste sur une énergie fossile.

Des porte-conteneurs à l’énergie éolienne ?

Des solutions renouvelables émergent progressivement. L’équipe d’Energy Observer ambitionne ainsi de mettre à l’eau d’ici 2025 — pour une exploitation commerciale dès 2027 —, un navire de fret industriel d’une capacité de chargement de 5 000 tonnes. C’est peu comparé aux grands porte-conteneurs d’aujourd’hui (quasiment 242 000 tonnes pour le plus grand du monde, le MSC Raya). Mais c’est un début. Et un peu comme le bateau laboratoire de l’équipe qui parcourt les océans du monde depuis plusieurs années maintenant, le cargo comptera sur un mix d’énergies exclusivement renouvelables pour avancer. Une pile à combustible alimentée par de l’hydrogène stocké sous forme liquide et des ailes pour la propulsion vélique.

Le projet Canopée à gauche et Tradewings à droite / Images : Zéphyr & Borée, VPLP Design Alwena Shipping.

La propulsion vélique — une expression moderne pour dire bateau à voile —, c’est aussi le pari d’un bon nombre d’autres industriels du secteur. Exploiter la force du vent à l’aide de voiles rigides, gonflables ou rétractables dressées sur un mât, à la mode d’antan ou à l’aide de rotors, plus modernes. Un projet vient notamment d’être sorti des tiroirs par Louis Dreyfus Armateurs : un porte-conteneurs d’une capacité de chargement de 32 500 tonnes équipé de 6 voiles rigides. Et d’un moteur diesel-électrique — parce que la disponibilité du vent reste variable et pas toujours suffisamment puissante — qui pourra aussi fonctionner avec des carburants alternatifs de type GNL ou méthanol. Pour une réduction attendue des émissions de CO₂ de 35 %.

En attendant, un tout premier grand cargo à voile moderne est déjà prêt à prendre la mer : le Canopée de Zéphyr & Borée. Il attend qu’on lui pose ses quatre ailes véliques dans le courant de cet été. Il a été choisi par ArianeGroup pour transporter le lanceur Ariane 6 d’Europe jusqu’à la Guyane. Selon les situations, la part de propulsion éolienne devrait varier entre 15 et 40 %. Signe que la technologie est prête à entrer dans une phase industrielle : 5 exemplaires du Canopée viennent d’être vendus. Alors que la société française CWS (Computed Wing Sail) a annoncé son intention d’ouvrir une usine de fabrication d’ailes rigides à Saint-Nazaire dès 2024. Avec l’objectif d’attendre, fin 2025, une cadence de 50 ailes par an.

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Les porte-conteneurs nucléaires ont-ils un avenir ?

Mais la voile n’est pas la seule piste explorée par les industriels du transport maritime. Une autre se détache : celle de la propulsion nucléaire. Parce que même si elle n’entre pas dans la catégorie des renouvelables, l’énergie nucléaire est indéniablement bas-carbone. Et il existe déjà, dans le monde, des sous-marins et des porte-avions à propulsion nucléaire. Des brise-glace également. Des modèles de navires commerciaux avaient été envisagés dans les années 1950. Jugée trop coûteuse, l’idée avait été abandonnée.

Des spécialistes de la question estiment toujours que la propulsion nucléaire n’aurait de sens que pour les plus gros navires effectuant les routes les plus longues. De quoi profiter à plein de l’un de ses avantages majeurs : les faibles besoins en ravitaillement. Les réacteurs des sous-marins nucléaires alimentés aujourd’hui avec de l’uranium hautement enrichi peuvent fonctionner pendant 25 à 30 ans sans « faire le plein ».

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Certains envisagent même la mise en œuvre de réacteurs en conteneur, qui fonctionnerait comme une sorte de pile nucléaire. Grâce aux petits réacteurs modulaires de demain refroidis par sels fondus comme celui développé par Core Power, les porte-conteneurs nucléaires pourraient, en plus, se contenter d’un uranium commercial — mais pour l’instant surtout produit… en Russie — moins enrichi.

Les travaux de R&D sont en cours. Mais le plus difficile sera peut-être d’élaborer et faire respecter un cadre réglementaire draconien, pour assurer une sûreté sans faille à ces vaisseaux nucléaires. Il devrait également être compliqué de trouver un modèle économique pour des porte-conteneurs atomiques dont les seuls réacteurs représenteraient les trois quarts du coût total. Ou pour des navires qui arriveraient en fin de vie avant le petit réacteur nucléaire installé à bord. Il faudra aussi, à n’en pas douter, faire face aux réticences du public. Dans les années 1950, plusieurs pays avaient refusé l’accès à leurs ports de navires nucléaires.https://www.revolution-energetique.com/ce-bateau-solaire-a-voyage-jusquen-alaska-sans-emettre-de-co2/

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