Les centrales photovoltaïques génèrent uniquement du courant, quand les centrales solaires thermiques produisent seulement de la chaleur. Mais quelques rares usines produisent de l’électricité… avec la chaleur du soleil. Ces centrales dites « thermodynamiques » ou « à concentration » ont un mode de fonctionnement très particulier, que nous avons pu découvrir dans les moindres détails. Direction Llo, dans les Pyrénées-Orientales, où se trouve l’unique exemplaire français de cette technologie.
L’énergie solaire est une ressource variable. Il suffit d’un nuage pour faire chuter la puissance d’un panneau, quand la nuit interrompt totalement la production. L’électricité générée n’est donc pas toujours synchronisée aux besoins de consommation.
Pour y remédier, il est nécessaire d’utiliser un système de stockage. À Llo, dans les Pyrénées-Orientales, l’unique centrale solaire thermodynamique de France a fait un choix assez inédit pour permettre le stockage de l’énergie solaire.
Concentrer le soleil avec des miroirs de Fresnel
L’usine de 36 hectares, conçue et exploitée par Suncnim, n’utilise ni batteries, ni STEP, ni sels fondus, mais plutôt des réservoirs d’eau pressurisée à haute température. L’eau est chauffée par deux champs constitués au total de 95 200 miroirs de Fresnel, soit 153 000 m² de surface baignée par le soleil. Mais pourquoi « Fresnel » ?
La réponse est simple : ces miroirs, identiques à ceux de nos salles-de-bain, sont disposés de manière à reproduire la forme d’une lentille de Fresnel, du nom de son inventeur. L’effet est similaire à celui d’une parabole, sans les inconvénients d’entretien, nettoyage et réparation.
De l’eau chauffée à 280 °C sous 70 bars
Les miroirs de Fresnel concentrent le rayonnement solaire en un point précis. À Llo, ils atterrissent sur un tube « récepteur » de 30 cm de large situé à 9 m de hauteur, muni d’un tube absorbeur dans lequel circule de l’eau. La température y atteignant 280 °C sous 70 bars de pression, l’eau liquide se transforme rapidement en vapeur saturée, nous explique Tristan Arnould, un des ingénieurs du site.
Cette vapeur, qui contient toujours une fraction d’eau liquide, circule dans des canalisations jusqu’à des « ballon séparateurs ». Par simple gravité, ces dispositifs séparent l’eau liquide, réinjectée dans le champ, de la vapeur saturée, qui est dirigée vers la turbine. Cette dernière entraîne un alternateur d’une puissance de 9 MW électriques nominaux (mais peut atteindre 10 MW ponctuellement dans certaines conditions).
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La vapeur peut aussi être envoyée simultanément vers le système de stockage. Composé de 9 ballons, il est capable d’accumuler 100 MWh d’énergie thermique convertibles en 36 MWh d’énergie électrique.
Son principe est simple : les cuves sont remplies à 50 % d’eau liquide, dans laquelle est injectée la vapeur provenant des champs solaires. Celle-ci réchauffe l’eau liquide, qui sera ensuite vaporisée vers la turbine à l’ouverture des vannes. La pression dans les cuves s’élève à environ 65 bars.
Le système de stockage permet de produire pendant 4 heures à pleine puissance, assure Tristan Arnould. « Récemment, on a tourné pendant 4 jours en 24h/24 en réduisant la puissance de l’alternateur à 1 MW » explique-t-il.
Une fois passée dans la turbine, la vapeur est envoyée dans un aérocondenseur. Ce dispositif consiste à transformer la vapeur à eau liquide, afin de la réinjecter dans les champs solaires. La vapeur est condensée dans de fines canalisations dotées d’ailettes métalliques, augmentant les échanges thermiques avec l’air ambiant. En été, de puissants ventilateurs insufflent de l’air à travers le circuit pour optimiser le refroidissement.
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Par temps clair, la centrale fonctionne habituellement selon le schéma suivant : le matin, les deux champs solaires alimentent la turbine. Aux alentours de midi et durant une partie de l’après-midi, le champ ouest recharge les ballons quand le champ est suffit à faire fonctionner la turbine.
Le soir, les deux champs alimentent à nouveau la turbine. La production est ensuite prolongée une partie de la soirée, voire de la nuit grâce à la vapeur déchargée du site de stockage.
« En temps normal, la turbine s’arrête et redémarre tous les jours » précise l’ingénieur. Le facteur de charge quotidien de la centrale solaire thermodynamique de Llo est de 0 à 56 % en été, et de 0 à 25 % en hiver. « Lissé sur l’année, on est à 25 % de facteur de charge » détaille-t-il. En clair, le site produit au maximum de sa capacité pendant 25 % du temps.
La courbe de puissance d’une belle journée d’été
Si le pilotage est majoritairement automatisé, une poignée d’employés est présente en permanence pour veiller à son bon fonctionnement et à son entretien. Une salle de contrôle bardée d’écrans permet de contrôler tous les paramètres en temps réel.
L’ingénieur nous y présente la courbe de puissance d’une belle journée d’été : à 7 h 03, les premiers rayons de soleil chauffent les collecteurs. La turbine démarre à 9 h 38 avant d’atteindre sa pleine puissance peu avant 11 h 30. Le rayonnement solaire était tel ce jour-là que la turbine a pu être poussée à plusieurs reprises à 10 MW, soit 1 MW au-delà de sa puissance nominale. La production n’a commencé à réduire qu’à 20 h, une heure avant le coucher de soleil et s’est poursuivie à une puissance située entre 1 et 5 MW jusqu’à 3 h 23 du matin.
« Petit phénomène particulier ce jour-là, on avait rempli le stockage à 16 heures et on a été obligé de défocaliser certains miroirs » explique Tristan Arnould. « En été, c’est comme ça, la centrale est surdimensionnée donc parfois, on va défocaliser volontairement et perdre un peu d’énergie solaire parce que la turbine est à 100 % et le stockage est à 100 %. En revanche, ce surdimensionnement en hiver nous permet de produire un peu plus d’énergie » confie-t-il.
Ce 14 juillet 2022, la centrale solaire thermodynamique de Llo a généré 110 434 kWh d’électricité brute et consommé 8 965 kWh pour ses propres besoins. 101 469 kWh ont ainsi été injectés sur le réseau public. « C’était une bonne journée d’été, on en fait en général une cinquantaine à soixantaine dans l’année » assure l’ingénieur.
À lire aussi L’incroyable projet d’un restaurant qui carbure à l’énergie solaireObjectif : produire 20 GWh d’électricité chaque année
Suncnim, le concepteur et opérateur du site, vend sa production à un tarif extrêmement avantageux de 0,35 €/kWh. Celui-ci a été fixé par l’appel d’offres de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) que la société a remporté en 2012. Après 7 années de développement et de travaux, la centrale a produit ses premiers kilowattheures en 2019. Son objectif de production annuel est fixé à 20 GWh.
Toutefois, suite à un épisode orageux d’une rare intensité survenu durant l’été 2020, le site n’a pu générer que 13 GWh en 2021. De nombreux miroirs ont en effet été brisés par des grêlons de grande taille, un phénomène dont l’occurrence était estimée à un épisode par siècle. Leur remplacement est quasiment achevé.
Une centrale mise à jour en permanence
La centrale solaire thermodynamique de Llo est le premier et unique exemplaire de cette technologie en France. Il s’agit d’un démonstrateur qui « est toujours en phase de mise en service » précise Tristan Arnould. Le site est donc en constante amélioration. La mission de notre guide, ingénieur mécanique à plein temps sur le site, est d’ailleurs de développer de nouvelles solutions pour protéger la centrale des aléas climatiques.
Située à plus de 1 700 m d’altitude, l’usine doit en effet affronter d’importantes chutes de neige en hiver et de violents orages en été. C’est le prix à payer pour bénéficier de l’excellent ensoleillement du plateau de Cerdagne, qui accueille d’ailleurs le célèbre four solaire d’Odeillo et la tour solaire Thémis.
Article et vidéo très intéressants, merci! Super de voir ces projets au plus près!
Comme d’autres l’ont commenté, fournir le LCOE/LCOS (coûts moyens du kWh produit/stocké sur toute la durée de vie du projet) donnerait un éclairage important sur cette technologie, tout comme l’intensité carbone du kWh (qu’on devine très basse, mais avoir un chiffre serait préferable s’il est accessible quelque part). Ces deux données seraient intéressantes à comparer avec un champ solaire PV traditionnel couplé avec batterie (LFP/Redox/ou autre) de 9MW/36MWh ce qui semble être la capacité sur eLLO.
Question qui a sans doute son importance ? A combien s’élève l’investissement pour cette centrale solaire ?
15ha pour produire 100mwh par jour l’été et 2 fois moins l’hiver…
Il va en falloir des feux de forêt pour libérer du foncier pour libérer l’espace suffisant.
On comprend que cette technologie n’est pas adapté à la France… en revanche dans les pays désertiques d’Afrique on voit tout l’intérêt du produit vs simple pv. Simplicité technologique et disponibilité la nuit…
Bonjour
J’ai une question : quelle est l’influence sur l’environnement (notre atmosphere) des W produits par la chaleur qui n’a pu être convertie en électricité : principelement le système de refroidissement de l’eau qui réchauffe l’air ?
C’est la même chose pour avec toutes les énergies qui produisent de la chaleur : les rendements globaux ne sont jamais exceptionnels…
Je suis content de constater que d’autres que moi s’intéressent aussi aux conséquences de la chaleur dans ces milieux habituellement froids ! Parce que si l’on fait fondre la neige pour produire de l’eau, il n’y aura plus suffisamment de glace et de neige pour maintenir les équilibres thermiques de la planète ! Aujourd’hui c’est sans doute moins l’ardeur solaire qui est la conséquence de la sècheresse actuelle, que toutes les infrastructures destinées à transformer les montagnes en lieux de loisirs grâce à l’eau stockée, qui accélère la fonte des glaces éternelles et retarde l’arrivée de la neige qui forme… Lire plus »
Peut-on envisager une récupération de cette chaleur perdue ?
Passionnant merci !
Dans les environs, il y a Odeillo et Thémis, ainsi que l’ancêtre de tous les grands fours solaires, à Montlouis, qui sert toujours de façon pédagogique et touristique.
Très beau projet! et dire que Thémis existe depuis 40 ans au moins, avec une puissance (planifiée) plus importante, mais n’a jamais été correctement exploitée, et ensuite abandonnée. Arrivée trop tôt?
C’est un système relativement complexe pour produire pas énormément de courant.
Les plus puissantes éoliennes en mer peuvent produire 16 MW avec une seule éolienne et un facteur de charge plus important que 25%.
Mais c’est très bien d’explorer toutes les pistes et de prendre de l’expérience sur ces technologies solaires.
Les défenseurs de l’éolien ont visiblement toujours autant de mal à comprendre que le stockage et le pilotage ça a un coût important…