Électrification des usages et déploiement massif de l’éolien et du solaire : notre transition énergétique va nous demander des capacités de stockage à un niveau jamais atteint jusqu’ici. Du stockage par batteries, entre autres. Mais stocker de l’électricité dans des batteries n’est pas tout à fait sans risque. L’incendie survenu à Rouen en janvier dernier nous l’a une fois de plus rappelé. Arnaud Delaille, directeur des technologies et de l’innovation et cofondateur de PowerUp, nous explique.

En janvier dernier, un entrepôt de l’entreprise Bolloré Logistics partait en fumée du côté de Rouen. Une batterie lithium-ion a pris feu dans un bâtiment où elles étaient quelque 12 000 à être stockées. Rappelant à nos esprits le risque d’incendie lié à la technologie. Un risque d’autant plus présent que le marché des batteries connaît une croissance fulgurante.

Des batteries, il y en a de plus en plus. Dans nos smartphones ou nos ordinateurs portables. Mais aussi dans nos voitures, nos bus ou nos trottinettes. « Pour fixer les idées, on peut dire que la mobilité électrique concentrera près de 90 % du marché des batteries au lithium à horizon 2030 », nous précise Arnaud Delaille, directeur des technologies et de l’innovation de PowerUp, une start-up issue du CEA. « Et qu’un peu moins de 10 % des batteries serviront, à ce même horizon, à des applications stationnaires. »

Des applications de type support au réseau, en particulier dans le cadre du déploiement des énergies renouvelables aléatoires que sont le solaire et l’éolien. Les deux segments sont encore appelés à se développer. La capacité de stockage par batterie au lithium à l’échelle mondiale pourrait ainsi dépasser les 3,5 TWh en 2030.

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L’autre problème, c’est que lorsque ces batteries prennent feu, l’incendie est difficile à maîtriser. « Le CEA travaille notamment sur la question en étroite collaboration avec les pompiers », nous raconte Arnaud Delaille. Objectif : identifier les meilleures stratégies de lutte. On sait que pour étouffer un feu — le mot n’est pas choisi par hasard —, l’une des solutions est de le priver d’oxygène.

« L’ennui, c’est que lorsque l’électrolyte au cœur de la batterie se décompose, il génère de l’oxygène. Le feu s’autoentretient. Ce processus se poursuit jusqu’à ce que l’électrolyte soit totalement décomposé. » Le plus efficace resterait donc de l’attaquer à l’eau, pour faire baisser la température. Car nous le verrons plus loin, la température constitue ici un paramètre critique. « Pour être totalement efficace, il faudrait pouvoir immerger le pack de batterie pendant un jour ou deux. Ce n’est pas toujours réalisable. »

Prévenir le risque d’incendie de batterie

De quoi donner encore plus d’importance au travail des ingénieurs qui développent des solutions pour prévenir le risque incendie. Pour sécuriser à long terme le stockage d’énergie par batteries. « Il ne faut pas se leurrer, aucune batterie lithium-ion n’est garantie contre l’emballement thermique », souligne Arnaud Delaille. Dans cette phrase, plusieurs points méritent qu’on s’y arrête un peu.

Pour rappeler d’abord qu’en matière de batteries, la technologie « lithium-ion » est aujourd’hui la plus répandue sur le marché. Pour préciser ensuite ce que les experts entendent par emballement thermique. Vous l’aurez peut-être deviné, c’est par ce processus qu’une batterie brûle. Voire explose. Lorsque la batterie surchauffe ou surcharge, lorsqu’elle est victime d’un défaut de construction ou de dommages mécaniques, par exemple, son électrolyte se décompose en des gaz hautement inflammables.

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Des travaux de R&D tentent de résoudre le problème. En proposant de nouveaux matériaux pour les électrodes des batteries, pour certains. « Mais toutes les batteries lithium-ion s’emballent. À des degrés et à des vitesses qui diffèrent simplement en fonction des matériaux employés pour les électrodes, par exemple, ou encore l’électrolyte, qui reste la vraie source du problème », nous assure le cofondateur de PowerUp. C’est du reste la raison pour laquelle des travaux de recherche tentent activement à remplacer les électrolytes actuels liquides par des électrolytes solides, dans les batteries dites « tout solides ».

La plupart des développements restent encore confinés dans des laboratoires. La plus connue, c’est la batterie solide d’ores et déjà proposée par Blue Solutions. « L’inconvénient, c’est que cette technologie fonctionne actuellement à partir de 80 °C. Les efforts se concentrent donc sur le fait de permettre son fonctionnement sans ce besoin de maintien en température. Par ailleurs, tout risque de feu ne sera pas réglé pour autant, cette technologie reposant sur l’utilisation de lithium métal à l’électrode négative, matériaux lui-même hautement inflammable. »

« Ces propos ne se veulent pas alarmistes pour autant, et ne doivent donc pas faire peur à ceux qui voudraient passer au véhicule électrique. Parce que les avantages sont nombreux. Et parce que de plus en plus de dispositifs permettent de prévenir les incendies de batteries », note Arnaud Delaille. Voyons donc de plus près de quoi il retourne.

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Éviter l’emballement thermique dans la batterie

Il existe en premier lieu des systèmes de protection internes aux cellules unitaires, constitutives des batteries. « Toutefois, lorsqu’ils se mettent en marche, il est déjà trop tard pour la cellule. Ils permettent tout juste de prévenir le feu et de limiter les dégâts à l’extérieur. ». Il y a ensuite le fameux BMS, le Battery Management System. Une carte électronique qui gère la charge des cellules et vérifie certains paramètres de fonctionnement. De quoi couper le système en cas de problème, avant le début de l’emballement.

Mais le BMS, malheureusement, ne peut pas tout résoudre. « Il peut être défaillant. C’est ce qui est généralement diagnostiqué sur des feux d’hoverboard ou de trottinettes. Lorsque la batterie vieillit, il peut aussi se créer des courts-circuits internes — par les fameuses dendrites dont on a déjà entendu parler — face auxquels le BMS est impuissant, puisqu’en dehors de son pouvoir de coupure. De même, sur des batteries composées de multitudes de cellules mises en série — on atteint à titre d’exemple plusieurs centaines de volts pour les batteries stationnaires constituées de cellules qui ne fournissent chacune pas plus de 3 à 4 V —, le BMS peine à pointer des surcharges localisées qui peuvent pourtant conduire à l’emballement thermique », nous explique Arnaud Delaille.

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C’est pourquoi de nouvelles solutions sont aujourd’hui développées. Parmi lesquelles, celle de PowerUp. L’idée : collecter et analyser les données — la tension, le courant et la température — issues des batteries en fonctionnement pour y déceler les signes avant-coureurs de l’emballement. « Nous avons travaillé rétrospectivement, par exemple, sur des données fournies par un opérateur de batterie après la défaillance d’un module sur les 3 000 qui composaient un conteneur de batteries. Notre système aurait pu émettre une alerte neuf mois avant que le BMS identifie le problème. Il aurait permis, non pas d’éviter un incendie — parce qu’il n’y a pas eu d’incendie, le BMS ayant joué son rôle —, mais de réduire la nuisance. Il a fallu à l’opérateur environ deux mois — comprenant le temps de commande, d’approvisionnement et de remplacement — pour relancer la partie inopérante de sa batterie. Notre solution aurait pu permettre d’éviter la coupure de service », nous raconte Arnaud Delaille.

Les signes précurseurs à l’emballement ne peuvent toutefois pas toujours être détectés de manière aussi précoce. « Cela dépend des usages », souligne le cofondateur de PowerUp. « Dans le cas d’un bus électrique, par exemple, le diagnostic peut se faire non pas plusieurs mois, mais plusieurs semaines avant la mise à l’arrêt forcée par le BMS. De quoi, tout de même planifier la maintenance et remplacer la batterie avant qu’arrive le pire. »