Il n’y a plus de volcans ni de failles hyperactives en France métropolitaine. Pourtant, l’hexagone dispose d’une potentiel géothermique significatif, en partie exploité pour fournir chauffage et eau chaude sanitaire à des logements et bureaux. Quelques rares centrales géothermiques produisent de la chaleur pour des sites industriels. Nous avons visité la plus puissante de France continentale, à Ritterschoffen en Alsace.

En France, on n’a pas de pétrole, mais on a un peu de géothermie ! Pas autant qu’en Islande, Turquie, États-Unis ou en Indonésie, certes, mais assez pour éviter significativement l’utilisation d’énergies fossiles. La centrale de géothermie profonde de Ritterschoffen (Bas-Rhin) en est l’exemple. Chaque gigawattheure (GWh) de chaleur qu’elle produit grâce aux entrailles de la Terre est autant qui ne provient pas de gaz fossile.

Exploité par Électricité de Strasbourg, le site fournit un maximum de 27 mégawatts thermiques (MWth) à l’usine Roquette Frères de Beinheim, située à 15 km de Ritterschoffen. Ce vaste site produit, à partir de blé et de maïs, de l’amidon et de l’éthanol, des produits destinés notamment à l’industrie pharmaceutique, agroalimentaire, cosmétique, chimique et la plasturgie.

L’usine a d’importants besoins de chaleur. Elle nécessite jusqu’à 90 MWth, jadis assurés uniquement par du gaz fossile. Après s’être équipé d’une chaudière biomasse de 43 MWth en 2014, Roquette Frères s’est engagé avec Électricité de Strasbourg dans la construction de la centrale géothermique de Ritterschoffen, inaugurée en 2016. Les 2 unités produisent désormais 75 % de la vapeur consommée par le site. Si la chaudière biomasse brûle 150 000 tonnes de bois local chaque année, la centrale géothermique a un impact environnemental nettement plus faible.

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Deux circuits fermés

Installée au milieu des champs, elle occupe seulement 2,4 hectares, en lisière de la forêt d’Haguenau. C’est ici que s’enfoncent deux forages, qui atteignent 2 600 m de profondeur. Le premier s’incurve progressivement à l’horizontale, afin de s’éloigner du second, qui reste vertical. Car le système fonctionne en circuit fermé : l’eau géothermale à 170 °C contenue dans le sous-sol est puisée par le puits incurvé par un moteur électrique de 500 kW. Elle transmet sa chaleur à un circuit d’eau classique (dit d’eau « adoucie ») via 12 imposants échangeurs à tubes et calandre, puis est réinjectée à seulement 70 °C dans les profondeurs via le second forage. Il est donc indispensable d’écarter les deux puits pour ne pas refroidir la source de chaleur.

L’eau adoucie, portée à environ 160 °C, est immédiatement livrée à l’usine Roquette Frères de Beinheim via un pipeline enterré de 15 km. Elle l’utilise pour produire de la vapeur, principalement utilisée pour ses séchoirs. Après avoir cédé ses calories, l’eau adoucie est renvoyée vers la centrale géothermique de Ritterschoffen pour être de nouveau réchauffée. Le site fonctionne donc avec deux circuits fermés : le premier d’eau géothermale et le second d’eau adoucie.

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De la radioactivité dans l’eau géothermale ?

Deux bassins, l’un de 1 000 m³ et l’autre de 6 000 m³, permettent de stocker l’eau géothermale issue du séparateur eau/vapeur, avant sa réinjection progressive. Ce dispositif aux allures de cheminée est rarement utilisé. Il fait office de soupape de sécurité, lors d’arrêts d’urgence ou des phases d’arrêt-redémarrage, qui n’auraient lieu que quelques jours par an. À cet endroit, l’eau géothermale sous pression et à une température de 160 °C passe immédiatement à pression atmosphérique. Une partie se condense sous forme d’eau liquide et l’autre s’échappe sous forme de vapeur.

Cette eau provenant des entrailles de la Terre, elle est chargée de gaz et minéraux, dont certains sont très légèrement radioactifs. L’accès au séparateur est donc réglementé et seuls les agents portant un dosimètre peuvent y intervenir. Les doses sont extrêmement faibles, rappelle Électricité de Strasbourg. Il s’agit d’un zonage « bleu », le plus bas des 5 niveaux de radioprotection, inférieur à celui d’une salle d’imagerie médicale.

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Un COP exceptionnel de 30

À Ritterschoffen, l’eau bouillante des profondeurs ne jaillit pas naturellement comme du pétrole brut. Pour la remonter à la surface, récupérer ses calories, les expédier jusqu’au consommateur, la récupérer puis l’injecter à nouveau dans la croûte terrestre, il faut la pomper. Des moteurs électriques de plusieurs centaines de kilowatts de puissance sont utilisés en permanence. Leur consommation n’affecte toutefois pas le rendement de l’opération. Car, selon Électricité de Strasbourg, pour 1 kWh d’électricité utilisée, c’est 30 kWh d’énergie thermique qui est délivrée. Un coefficient de performance (COP) de 30, c’est assez rare. Pour mieux se situer, les pompes à chaleur aérothermiques ont généralement un COP de 2 à 4.

La centrale géothermique est parfois contrainte de dilapider quelques mégawattheures dans l’atmosphère, à travers des aérothermes. Cela arrive très occasionnellement, lorsque les besoins de chaleur de l’usine Roquette Frères sont inférieurs à la production géothermale. Afin d’éviter la surchauffe du circuit d’eau adoucie, ses calories excédentaires sont ainsi rejetées dans l’atmosphère.

Le site de Ritterschoffen a nécessité un investissement de 55 millions d’euros, dont plus de la moitié financé par des fonds publics. L’ADEME, via son fond chaleur, a notamment contribué à hauteur de 25 millions d’euros.

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Chaque année, 2 TWh de chaleur produite par la géothermie profonde en France

L’usage de la géothermie profonde en France est méconnu du grand public, mais pas si rare. Le territoire métropolitain compte 78 installations de 500 à 3 000 m de profondeur puisant une eau entre 30 et 200 °C. L’immense majorité est située dans le bassin parisien et alimente des réseaux de chaleur urbains, qui chauffent et produisent de l’eau chaude sanitaire à des milliers de logements et bureaux.

En 2020, la géothermie profonde a produit 2 083 GWh de chaleur, selon le ministère de la Transition énergétique. C’est moins d’1 % des besoins annuels de chaleur de l’ensemble du pays (environ 280 000 GWh). Le potentiel est pourtant bel et bien présent. La France pourrait produire au moins trois fois plus de chaleur à partir de la géothermie profonde avant 2030.

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