Le Danemark est le champion européen de l’éolien et particulièrement de l’éolien offshore. Pourtant toujours sous son aile, le Groenland, lui, est resté vierge de toute turbine. Mais les choses semblent changer. Avec, notamment, un premier projet de parc éolien commercial destiné à produire de l’ammoniac vert.

Dans l’histoire de la transition énergétique du Groenland, il y a d’abord eu ceux qui estimaient que l’éolien n’était pas une option intéressante. Une question à la fois de vents extrêmement variables et d’implantation des populations. Pourtant, les responsables de la start-up norvégienne H2Carrier et de la société groenlandaise Anori viennent de s’entendre sur un projet de développement d’un premier parc éolien offshore commercial au Groenland, pour 1,5 gigawatt (GW) de puissance. Ont-ils perdu la raison ? Rien n’est moins sûr.

D’abord parce que, comme nous l’évoquions en 2020 dans un sujet intitulé « Le Groenland sera-t-il l’eldorado éolien de l’Europe ? », les chercheurs ont, depuis, estimé que certaines régions du Groenland présentent un potentiel éolien très intéressant. Grâce à des vents qui soufflent presque en permanence. Une estimation qui, comme le raconte notre sujet « Ce gigantesque parc éolien au Groenland pourrait alimenter l’Europe en électricité verte », a semblé vouloir se confirmer cet été.

L’autre raison qui peut fait croire au projet de H2Carrier et Anori, c’est l’ambition affichée d’utiliser ce parc éolien, non pas pour produire une électricité qu’il faudrait ensuite injecter sur le réseau local ou transporter vers l’Europe sur des milliers de kilomètres, mais pour produire de l’ammoniac vert.

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Pourquoi de l’ammoniac plutôt que de l’électricité ?

Il faut en effet savoir que l’ammoniac est l’un des produits chimiques les plus utilisés dans le monde. C’est notamment la matière première de la plupart des engrais azotés. Et si lui-même n’est pas carboné, il est classiquement produit à partir d’hydrogène extrait de gaz méthane fossile. Sa fabrication reste responsable de près de 2 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Pour verdir le processus, il faut produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Comprenez en comptant sur une source d’électricité bas-carbone pour casser les molécules d’eau (H20) et récupérer de l’oxygène (O2) et de l’hydrogène (H2). C’est justement ce que promet de faire la start-up H2Carrier avec son navire P2XFloater. Branché sur des éoliennes offshore, il peut pomper de l’eau de mer et la purifier pour ensuite alimenter des électrolyseurs. L’hydrogène ainsi produit est alors combiné à l’azote (N2) de l’air pour produire de l’ammoniac (NH4). Jusqu’à 820 000 tonnes par an — sur 150 millions de tonnes de production annuelle actuellement — avec un seul bateau relié à une capacité éolienne de 1 GW.

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De l’ammoniac vert pour quoi faire ?

Si la production de l’ammoniac devient « verte », son usage — abusif en tout cas — n’en reste pas moins controversé. Il conduit à l’acidification et à l’eutrophisation des milieux. Il contribue à la formation de particules fines et est caustique pour les yeux ainsi que les poumons.

Mais l’ammoniac a plus d’un tour dans son sac. À température ambiante et sous pression atmosphérique, il est gazeux. Une fois liquéfié, il devient bien plus facile et plus économique à transporter et à stocker que l’hydrogène. Il pourrait ainsi se transformer en un vecteur d’énergie prometteur. Car, utilisé comme combustible, lui non plus n’émet pas de CO₂.

Durant la Seconde Guerre mondiale, des bus belges roulaient à l’ammoniac, mais l’idée a été abandonnée, faute d’efficacité face aux hydrocarbures. Aujourd’hui, des travaux sont menés, par exemple, sur des mélanges ammoniac/hydrogène qui améliorent les performances. Plus largement, il pourrait être envisagé de remplacer le charbon et ses fortes émissions de CO₂ par de l’ammoniac dans les centrales électriques.

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