Le bois énergie est neutre en carbone pour certains, quand d’autres affirment qu’il est plus polluant que le charbon. La réalité, comme toujours, n’est pas aussi simple.

Sur le front de la transition énergétique, un nouvel assaut a été donné il y a quelques mois par le Parlement européen. Son cheval de bataille : exclure le bois non transformé de la catégorie très prisée des énergies renouvelables (EnR). Les professionnels de la filière bois-forêt française ne comptent pas baisser les armes si facilement.

En France, le bois énergie est considéré comme la première des EnR. Il compte, à lui seul, pour plus d’un tiers des énergies de la catégorie renouvelable consommées et produites dans notre pays. Le classement se fondant sur le fait que la combustion de matière végétale libère bien du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, mais qu’une même quantité de CO₂ en est retirée lors de la croissance du végétal. Ce qui ferait du bois une source d’énergie neutre en carbone.

Les courbes de concentration de CO₂ dans l’atmosphère semblent le confirmer. Alors que les hommes ont brûlé du bois pour leur énergie très tôt dans leur histoire, cette concentration n’a augmenté de manière flagrante qu’au moment où les énergies fossiles sont entrées en jeu. Le charbon d’abord, puis le pétrole.

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La consommation de bois énergie en hausse, c’est problématique ?

Mais comme souvent, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples. D’abord, parce qu’il y a un risque que plus de bois soit brûlé pour en tirer de l’énergie que d’arbres replantés pour stocker le CO₂ ainsi émis. Plus encore si la consommation de bois énergie est encouragée par la désignation « énergie renouvelable ». Ce n’est pas le cas en France où les prélèvements restent inférieurs à la croissance de la forêt. L’Agence internationale de l’énergie évoque cependant déjà une production mondiale en hausse de 6 % par an depuis 1990 et une possible multiplication par quatre d’ici 2050.

Autre risque : le temps qui sera alors imparti à la croissance des arbres pourrait ainsi se voir réduit. Empêchant les arbres d’atteindre leur maturité et leur capacité de stockage maximale. Parce qu’il faudra produire rapidement du bois pour l’énergie. Et même si les terres ne sont pas artificialisées ou converties à l’agriculture ou les nouveaux arbres fragilisés par les sécheresses ou les incendies de plus en plus fréquents dans le contexte de réchauffement climatique, il restera ce que les scientifiques appellent le « délai de remboursement de la dette carbone ».

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Une dette carbone à rembourser

Un délai gênant dans la situation d’urgence que nous vivons actuellement. Parce que les chercheurs le rappellent, neutralité carbone — sans parler du fait que les pays comptent généralement déjà le bénéfice du stockage du CO₂ par leurs forêts par ailleurs, dans leur bilan carbone global — ne veut pas nécessairement dire neutralité climat. Selon eux, même si des arbres finissent par capter de nouveau le CO₂ émis par la combustion du bois, il aura passé dans notre atmosphère, un temps suffisant à provoquer des dommages pas si facilement réversibles.

Une étude réalisée aux États-Unis montre par exemple que le taux de CO₂ dans l’atmosphère augmente jusqu’à 15 ans après la récolte de bois énergie. Parce que la récolte a perturbé l’ensemble de l’écosystème. Et que même si les arbres sont replantés, jeunes, ils accumulent moins — même si c’est plus vite — de carbone que plus âgés. D’où le risque, avec des coupes régulières, de voir finalement amoindri le stock global de carbone séquestré par la forêt.

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Le bois, plus intéressant que les énergies fossiles ?

Peut-être, répondent certains, mais le bilan change si l’on se place à l’échelle d’un massif géré durablement et sur lesquelles les parcelles ont des âges différents. Parce que chaque prélèvement est alors compensé par la croissance de tous les autres arbres. Et au-delà de cela, il reste plus intéressant de brûler du bois que de brûler des combustibles fossiles. Là encore, pas si sûr.

Des études montrent en effet que si le bois est utilisé pour produire de l’électricité, il émet plus de CO₂ par kilowattheure produit que n’importe quelle énergie fossile. Y compris le charbon. Parce qu’il est riche en eau et brûle donc moins efficacement. Mais il s’agit là d’une émission de carbone dit « biogénique » parce qu’elle a, en principe, déjà été comptabilisée au moment du prélèvement de ce bois en forêt. Comme un minorant du puits de carbone. C’est la méthode de calcul retenue par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).

Les travaux cités plus haut confirment par ailleurs que les taux de CO₂ atmosphériques augmentent deux fois moins lorsque du bois est brûlé à la place du charbon que lorsqu’il produit de l’électricité à la place d’énergies bas-carbone. Malgré cela, la dette carbone du bois énergie ne semble pas pouvoir être remboursée avant… 115 ans !

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Un risque pour la forêt ?

Et qu’en est-il de l’idée de n’utiliser pour produire de l’énergie que du bois « de déchet » ou des arbres fragilisés ou malades, une manière d’entretenir les forêts aussi ? C’est celle que défend le Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour lequel, dédier des peuplements entiers au seul bois énergie est une aberration. Les chercheurs rappellent que même les déchets du bois peuvent être utilisés dans des applications (isolation, fabrication de panneaux, etc.) qui continueront à retenir le carbone pendant des décennies. Ils notent aussi que permettre aux déchets du bois de se décomposer fournit des nutriments importants pour la santé des forêts.

Le carbone stocké met alors des années à être libéré dans l’atmosphère — mais il l’est, bel et bien — alors qu’il l’est immédiatement lorsque le bois est brûlé. Ils répondent enfin que dans le cas d’une exploitation de seulement 25 % de la forêt pour la production d’énergie, le délai de remboursement de la dette se réduit effectivement. D’environ 25 ans. Mais cela semble toujours trop face à l’urgence climatique.

Des études, menées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) notamment, sont moins catégoriques. Elles jugent que l’avantage du stockage dans l’écosystème sur celui du stockage dans la filière bois est léger. Mais elles considèrent la filière bois-forêt dans son ensemble. Sans s’intéresser plus particulièrement au cas du bois énergie.

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Ainsi, plus que dans les volumes, le secret de la réussite se cacherait dans des pratiques vertueuses de gestion des forêts. Des pratiques qui pourraient être à adapter à chaque massif. Et en fonction des impacts du réchauffement climatique qui restent eux aussi difficiles encore à déterminer sur le moyen terme.

Pour en revenir à la volonté du Parlement européen de ne plus considérer le bois non transformé comme une énergie renouvelable, les professionnels de la filière craignent aussi — en plus de la perte d’une part des 50 000 emplois non délocalisables qu’elle représente en France — que la décision finisse justement par limiter l’entretien des parcelles et leur gestion durable. Car les premières éclaircies ne sont habituellement pas exploitables autrement qu’en bois énergie. Résultat, des forêts moins résilientes au changement climatique et soumises à un risque incendie plus important. Avec la libération massive de CO₂ qui en résulterait…