Pour stocker l’électricité, il existe aujourd’hui différentes solutions. Les batteries sont les plus connues. Mais d’autres sont annoncées. Comme les solutions de stockage gravitaire. Le point à ce sujet avec Thierry Priem, responsable du programme Stockage au CEA, et Yannick Peysson, responsable du programme Stockage et Gestion de l’énergie à l’IFP Énergies nouvelles.

L’électricité peut, assez facilement et sans trop de pertes, être transportée, même sur de longues distances. Mais si elle n’est pas rapidement consommée, elle se perd. D’autant qu’elle se stocke difficilement. Un problème dans notre monde en transition. Parce que nos panneaux solaires et nos éoliennes ne produisent pas selon no besoins. L’Europe fait d’ailleurs du stockage de l’électricité une priorité. Si dans l’immédiat nos besoins restent limités à quelques gigawatts (GW), demain, pour répondre à un déploiement au-delà de 20 à 30 % d’énergies renouvelables variables dans notre mix électrique, nous pourrions avoir besoin de systèmes de stockage de dizaines de GW de puissance pour plusieurs centaines de GWh. Il est donc urgent de trouver des solutions.

Il en existe, me direz-vous. Les batteries lithium-ion (Li-ion), surtout, que l’on connait de nos téléphones portables ou de nos voitures électriques. Les volants d’inertie, l’air comprimé ou encore l’hydrogène, dans une moindre mesure encore. Et celles que les experts appellent les STEP, les stations de transfert d’énergie par pompage. Celles qui écrasent littéralement aujourd’hui le marché avec 180 des 210 GW de puissance de stockage installé dans le monde, pour plusieurs centaines de gigawattheures (GWh).

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La STEP, une solution de stockage gravitaire éprouvée

« Les STEP stockent l’électricité sous forme d’énergie potentielle », nous rappelle Thierry Priem, responsable du programme stockage au CEA. Elles correspondent donc bien à des solutions de stockage dit gravitaire. Le principe : utiliser une électricité en excès – et généralement très bon marché – sur le réseau pour pomper de l’eau d’un réservoir bas vers un réservoir haut. Lorsque l’eau est libérée, sa chute au travers d’un turboalternateur permet de produire à nouveau de l’électricité à un moment où elle manque au réseau.

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Le système est éprouvé. Le rendement est bon. De l’ordre de 75 à 80 %. Et une STEP peut stocker de grandes quantités d’électricité sur une période de plusieurs mois, si besoin. « Parce que pour l’heure, il reste suffisamment de centrales thermiques et nucléaires en fonctionnement pour piloter la production. La question du stockage intersaisonier se posera toutefois dans le futur », nous explique Thierry Priem. « Nous pourrions, par exemple, produire de l’hydrogène. Parce qu’il est possible de le stocker dans des cavités salines. Il peut ensuite être converti à nouveau en électricité – au prix d’un rendement peu élevé, toutefois – ou plutôt, transformé en méthane ou en carburant de synthèse. Une belle manière de coupler les différents réseaux de distribution de l’énergie : électricité, gaz, chaleur et carburant. Et de proposer enfin une vision intégrée du système énergétique. »

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Le stockage gravitaire à base de solides, une bonne idée ?

Mais lorsque l’on demande aux experts leur avis sur l’idée d’imaginer d’autres systèmes de stockage gravitaires, leur réponse est unanime. « Technologiquement, ce n’est pas compliqué. L’idée est presque vieille comme le monde. Elle fait encore fonctionner des horloges. Toutefois, je doute que des solutions de stockage gravitaire à base de solides [des blocs de béton, comme utilisé par la société Gravitricity, par exemple, NDLR] soient un jour déployées à grande échelle. Même s’il peut apparaître des marchés de niche », estime Thierry Priem.

Yannick Peysson, responsable du programme Stockage et Gestion de l’énergie à l’IFP Énergies nouvelles, partage cet avis. « Nous ne développons aucun projet en ce sens. » À cela, plusieurs raisons. « Il y a d’abord les coûts des matériaux. Même si c’est du recyclé, il faut compter un coût de mise en forme. Il y a ensuite la question de la robustesse. Parce que plus il y a de pièces mobiles, plus le système demande de maintenance et plus le risque de casse est important. Là, on nous propose des systèmes de poulies, de grues, de blocs de béton. Personne n’aurait envie d’investir dans un système de stockage qui ne durerait pas. »

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Et bien sûr, il y a la question centrale des ordres de grandeur. « Pour arriver à stocker 1 gigawattheure (GWh) d’électricité, il faudrait pas mal de blocs de béton de 1 mètre cube montés à 100 mètres de hauteur. Qu’il puisse exister des stockages gravitaires d’une dizaine de mégawattheures (MWh), pourquoi pas. Mais la mise à l’échelle me semble compliquée. »

Des solutions de stockage gravitaire « exotiques »

Depuis une dizaine d’année, les start-ups, pourtant, rivalisent d’ingéniosité en la matière. Il y a par exemple Energy Vault (Suisse) et son idée – qui a déjà bien évoluée depuis sa première annonce – d’actionner une grue à plusieurs bras pour déplacer des blocs massifs à l’intérieur d’une cage métallique. Le tout savamment orchestré en mode Tetris géant par un algorithme qui calcule quel bloc déplacer pour moduler la puissance en fonction de la demande en électricité et de la production des énergies renouvelables.

Il y a aussi Sink Float Solutions (France) et son système de stockage gravitaire qui compterait sur une barge équipée d’un treuil-générateur pour monter et descendre là encore des blocs de plusieurs tonnes. Mais dans l’océan cette fois. On vous laisse imaginer les défis posés par l’ancrage de la barge en haute mer, la prise au vent ou tout simplement, le raccordement au réseau électrique. Et Archimède qui a tendance à pousser dans le mauvais sens…

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Une autre proposition vient de Gravitricity (Ecosse) qui espère exploiter les puits de mines désaffectées en y déplaçant des masses de plusieurs milliers de tonnes sur quelque 1 500 mètres de profondeur. Avec la promesse d’installations pouvant atteindre les 20 MW de puissance et produire de l’électricité pendant 8 heures.

D’autres envisagent des systèmes encore plus exotiques. Le stockage d’une électricité renouvelable excédentaire en faisant circuler des wagons, en tirant des conteneurs flottants remplis de gaz ou encore en exploitant les cages d’ascenseur des plus grands immeubles de la planète. Tous présentent les avantages supposés de leurs systèmes. Ils ne mobilisent pas de technologies de pointe. Ils comptent sur des matériaux issus de déchets miniers, urbains ou de construction. Et ils ne se déchargent pas avec le temps comme le font les batteries.

Les développeurs promettent des durées de vie de plusieurs décennies et des rendements de plus de 80 %. Le tout pour des coûts largement inférieurs à ceux des STEP ou des batteries. Mais les résultats des quelques premiers tests réalisés ne semblent pas tout à fait à la hauteur des espérances. Moins de 40 MWh et 2 heures de décharge attendus pour le projet mené par Energy Vault au Texas (Etats-Unis). Même pas de quoi rivaliser avec les performances que pourraient offrir de très classiques batteries lithium-ion. Idem concernant l’idée d’exploiter les cages d’ascenseur. Dans les plus grands immeubles du monde, il faudrait environ 10 mètres cubes de béton pour stocker 50 kWh, l’équivalent d’une batterie lithium-ion de moins d’un demi mètre cube.

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D’autres solutions plus efficaces

« Au niveau mondial, le marché de la batterie explose. Fin 2021, il représentait environ 12 % de la puissance installée contre seulement 3 % en 2018. Les rendements sont excellents. Le cyclage sur une journée, quant à lui, est tout à fait adapté au besoin d’aujourd’hui. Et les coûts baissent encore », nous rappelle Thierry Priem. Car la priorité semble bien aujourd’hui toujours de gérer l’intermittence quotidienne du solaire, par exemple. Être capable de stocker l’électricité produite en surplus à 14 heures pour la restituer le soir.

« Les grosses batteries stationnaires peuvent le faire. Et demain, nous devrions pouvoir compter sur les solutions CAES – pour Compressed Air Energy Storage. Elles sont en phase avancée de test partout dans le monde. Avec des performances supérieures à celles des projets de stockage gravitaires de ces start-up. L’idée, c’est de compresser et décompresser de l’air dans une cavité saline. Grâce à un système de gestion des échanges de chaleur, on peut atteindre un rendement pouvant dépasser 70%. Un stockage qui peut aller jusqu’à 10 GWh sur une dizaine d’heures pour un système robuste sur des dizaines d’années et dont l’empreinte en surface est réduite et le coût compétitif. », ajoute Yannick Peysson. « Les solutions de stockage gravitaires à base de solides auront sans doute du mal à rivaliser. »

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D’autant que du côté des STEP, les choses évoluent aussi. « Le principal défaut des STEP c’est qu’il faut trouver des sites sur lesquels on a deux grands bassins. Pour contourner cet obstacle, on imagine maintenant construire des micro-STEP sur le même principe, mais à partir de bassins de plus petits et avec des dénivelés plus faibles. Un projet de ce type doit voir le jour en Corse dans le courant de l’année 2023. Une micro-STEP couplée à une centrale photovoltaïque et d’une puissance de l’ordre de la centaine de kilowatts. On pourrait même envisager ce genre d’installation en milieu urbain. A moindre échelle encore, en jouant sur le dénivelé d’une colline. »