La Commission de régulation de l’énergie (CRE) vient de publier son rapport d’analyse du quatrième trimestre 2022 des marchés de détail de l’électricité et du gaz naturel. C’est l’occasion de mesurer les réactions des consommateurs face à la crise qui frappe le secteur depuis plusieurs mois. Et si cette crise allait sonner le glas de la concurrence dans le secteur ?

Depuis 2007, le marché français du gaz naturel et de l’électricité est ouvert à la concurrence, que ce soit pour les clients particuliers ou professionnels. Les opérateurs historiques (EDF pour l’électricité et l’ancien GDF devenu Engie pour le gaz naturel) ont dû faire face à la concurrence de nouveaux opérateurs, dits alternatifs. L’objectif de la réforme était de faire baisser les prix.

Depuis lors, les clients ont le choix entre les contrats régis par les tarifs réglementés de vente (TRV, le fameux « bouclier tarifaire ») fixés par les pouvoirs publics ou les offres de marché dont les prix sont déterminés par chaque fournisseur. Une aubaine pour le consommateur qui peut comparer les tarifs des opérateurs pour bénéficier des offres les plus avantageuses. Enfin en théorie. Aujourd’hui, en analysant le marché de détail du gaz naturel et de l’électricité sur le quatrième trimestre de l’année écoulée, la CRE dresse un bilan mitigé de la situation.

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Les fournisseurs alternatifs peinent à grappiller des parts de marché

D’abord, avec la crise qui touche le marché de l’énergie, les clients ont plus de mal à faire confiance aux fournisseurs alternatifs.

En électricité, au 31 décembre 2022, la part de marché des fournisseurs alternatifs (en nombre de sites) s’élève à 29 % pour les clients résidentiels et 35 % pour les non résidentiels, selon le rapport de la CRE. Ces chiffres sont en baisse pour la première fois alors que depuis 2019, ils étaient sur une courbe ascendante :

  • 26 % pour les clients résidentiels et 26 % pour les non résidentiels au 31/12/2019 ;
  • 28 % pour les clients résidentiels et 29 % pour les non résidentiels au 31/12/2020 ;
  • 31 % pour les clients résidentiels et 37 % pour les non résidentiels au 31/12/2021.

Les fournisseurs alternatifs peinent à convaincre de nouveaux clients alors même qu’ils grappillaient difficilement des parts de marché ces dernières années.

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En gaz, on observe un ralentissement net sans toutefois le même recul qu’en électricité. Les parts de marché des fournisseurs alternatifs (en nombre de sites) sont de près de 42 % pour les clients résidentiels et près de 60 % pour les clients non résidentiels, au 31/12/2022. Pour les années précédentes, ils étaient de :

  • 33 % pour les résidentiels et 46 % pour les non résidentiels au 31/12/2019 ;
  • 37 % pour les résidentiels et 59 % pour les non résidentiels au 31/12/2020 ;
  • 40 % pour les résidentiels et 60 % pour les non résidentiels au 31/12/2021.

La situation est donc meilleure pour les fournisseurs alternatifs en gaz naturel.

Pourquoi les clients signent-ils moins facilement de contrats auprès des fournisseurs alternatifs ? On pourrait penser que c’est pour retourner vers les offres aux TRV proposés par les opérateurs historiques. Ce n’est pas aussi simple que ça !

Les clients quittent plus difficilement les fournisseurs historiques

Depuis quelques années, EDF et ENGIE perdaient de nombreux clients initialement bénéficiaires des TRV au profit d’offres plus avantageuses de leurs concurrents. Mais en 2022, ils sont parvenus à inverser la tendance. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas uniquement grâce à leurs offres aux TRV.

En gaz, rappelons que les TRV ont disparu pour les professionnels depuis fin 2020. Pour les clients résidentiels, la souscription à un nouveau contrat soumis aux TRV n’est plus possible, mais les contrats en cours restent valables jusqu’au 30 juin 2023. En électricité, les professionnels n’ont plus droit aux TRV depuis le 1ᵉʳ janvier 2021.

Selon la CRE, fin 2022, près de 63 % des clients résidentiels ont choisi une offre soumise aux TRV. Ils étaient 72 % fin 2019. Cette baisse s’explique par le démarchage réalisé par les fournisseurs alternatifs ces dernières années afin d’accueillir de nouveaux clients, mais pas seulement. Les fournisseurs historiques ont également développé leurs offres de marché, afin de contrer la concurrence des fournisseurs alternatifs.

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C’est ainsi que fin 2022, en électricité, les fournisseurs historiques (EDF et les entreprises locales de distribution ELD qui peuvent proposer les TRV sur leur territoire) accueillent 19 % des sites soumis à une offre de marché en ce qui concerne les clients résidentiels. Ils n’étaient que 7 % fin 2019. C’est une belle augmentation en seulement trois ans !

En gaz, avec la fin annoncée des TRV pour les particuliers fin juin 2023, les consommateurs ont commencé à changer d’offres par anticipation. Pour autant, la situation est moins favorable aux fournisseurs historiques qui ont capté environ 45 % des sites ayant choisi une offre de marché. Leur part était de 48 % en décembre 2019.

Toutefois, le développement des offres de marché ne semble pas satisfaire pleinement les consommateurs. Selon le baromètre 2022 publié par le Médiateur national de l’énergie via son site Énergie Info, seuls 28 % des consommateurs interrogés pensent qu’ils vont réaliser des économies en quittant les TRV. Ils étaient 65 % à le penser en 2020 ! La crise de l’énergie est passée par là entre temps.

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La disparition de certains fournisseurs alternatifs fragilise le marché

Au-delà des chiffres, la flambée des prix sur le marché de gros a fragilisé certains fournisseurs qui ont dû quitter le secteur de l’énergie. C’est le cas de Leclerc Énergies, Barry, Cdiscount Énergie, Greenyellow, Bulb et Hydroption qui ont quitté le marché, forçant leurs clients à retrouver rapidement un nouveau fournisseur. Selon les rapports successifs de la CRE, il y avait environ 160 fournisseurs d’électricité en France fin 2019. Depuis fin 2020, ils ne sont plus qu’un peu plus de 100.

En gaz, la situation est meilleure avec quelque 30 fournisseurs entre 2019 et 2020 puis environ 40 depuis fin 2021. Aujourd’hui, les clients ont bien du mal à trouver une offre intéressante, que ce soit en gaz ou en électricité. Même en faisant jouer la concurrence. D’ailleurs, selon le baromètre 2022 du Médiateur national de l’énergie précité, 43 % des consommateurs interrogés pensent que l’ouverture du marché à la concurrence a entraîné une hausse des prix. C’est deux fois plus qu’en 2020. Alors au vu de la situation tendue dans le secteur, y a-t-il vraiment un avenir pour la concurrence sur le marché de l’énergie ?

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Quel avenir pour la concurrence dans le secteur de l’énergie en France ?

Si des fournisseurs alternatifs parviennent encore à survivre sur le marché, c’est parce qu’ils bénéficient de l’avantage que leur procure l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Par ce système, EDF est tenue de revendre chaque année à ses concurrents, dans une limite et un prix tous les deux déterminés par les pouvoirs publics, une part de l’énergie nucléaire produite à bas coût par ses centrales.

Sans cela, les fournisseurs alternatifs ne parviendraient pas à proposer des offres attractives. Mais avoir recours à l’ARENH, c’est favoriser l’énergie nucléaire. Si cela ne pose pas de problème à la majorité des fournisseurs, il n’en va pas de même pour les opérateurs qui proposent des offres vertes. Et leurs clients attendent généralement d’eux qu’ils n’encouragent pas le nucléaire. Pourtant, ils ne peuvent pas toujours s’en passer.

La CRE publie ainsi chaque année les fournisseurs qui bénéficient de l’ARENH. Pour 2023, outre les fournisseurs classiques, on retrouve Ilek et Enercoop, deux opérateurs d’énergie « verte ». Sans l’ARENH, les prix seraient trop élevés pour être acceptables pour leurs clients. C’est d’ailleurs ce qu’Enercoop a expliqué à ses clients sur son site internet pour justifier le recours à ce mécanisme.

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Mystère sur l’après-ARENH

Mais l’ARENH doit disparaître début 2026. Que va-t-il se passer ensuite ? Un nouveau système devrait le remplacer, dont on ignore à ce jour les contours. Difficile donc de savoir en quoi le nouveau mécanisme permettra de préserver la concurrence. Ce qui est sûr, c’est que le marché de l’énergie va évoluer. Une réforme est d’ailleurs en cours au niveau de la Commission européenne pour modifier les règles du marché de l’électricité.

En effet, la crise que nous venons de traverser a permis de réaliser que le prix de l’électricité était trop dépendant de celui du gaz, puisqu’il est fixé en fonction du coût de production de la dernière usine appelée pour répondre à la demande. Or, ce sont les centrales à gaz qui sont appelées en dernier dans l’Union européenne et le cours de l’électricité est alors indexé sur celui du gaz. La flambée du prix du gaz lié à la guerre en Ukraine a donc mécaniquement conduit à la hausse du prix de l’électricité. C’est particulièrement injuste en France où nous bénéficions d’une production considérable d’énergie nucléaire produite à bas coût.

Il faut attendre pour voir en quoi la réforme en cours affectera la concurrence dans le secteur de l’énergie. Ce qui est sûr, c’est que le marché va bouger. Espérons que le consommateur n’en sortira pas perdant au niveau des prix.

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