Cuisiner sans gaz fossile, bois ni électricité ? C’est tout à fait possible, en exploitant les rayons du soleil. À Marseille, la guinguette « Le Présage » propose des plats entièrement cuits à l’aide de fours et cuisinières solaires. L’établissement délaissera bientôt son petit conteneur pour ériger un restaurant bioclimatique en dur. Une première en France.

Depuis la rue, les grands miroirs de la guinguette solaire intriguent. À quoi peuvent bien servir ces installations, au beau milieu d’un terrain vague colonisé par les herbes folles ? Si l’établissement ne paie pas de mine aujourd’hui, il présage d’un projet de grande envergure. À Marseille, le bien-nommé Présage teste les technologies qui lui permettront de lancer le tout premier restaurant « en dur » fonctionnant entièrement à l’énergie solaire et au biogaz. Un concept inédit en France.

Un fourneau solaire à 400 °C

La guinguette prépare ses plats au moyen d’un « miroir Scheffler », qui chauffe une épaisse plaque en fonte. Le concept est simple : la parabole mobile de 8 m² concentre les rayons du soleil vers un réflecteur qui irradie la surface de cuisson. Au centre de la plaque, la température peut atteindre les 400 °C assure Pierre-André Aubert, le chef et fondateur du Présage. Elle est moins élevée en périphérie, autour de 80 °C, ce qui permet de cuire à « feu » vif ou mijoter à « feu » doux sur une seule et même surface.

Deux paraboles Scheffler équiperont le futur restaurant bioclimatique, qui s’élèvera à l’emplacement de la guinguette dans le quartier de Château-Gombert à Marseille. Le système est assez coûteux : entre 30 000 et 35 000 € pour un modèle neuf. Acheté d’occasion, l’exemplaire actuellement utilisé par Le Présage est usé mais continue à fournir suffisamment d’énergie à la cuisine. Âgé de 14 ans, il a été rénové avant de subir une averse de grêle qui a déformé ses miroirs en aluminium. Le dispositif fonctionne même par temps couvert, à une température toutefois inférieure à 100 °C. Lorsque soleil et cumulus alternent, la fonte compense par son inertie thermique : « un nuage peut passer pendant 20 minutes, la plaque restera très chaude », affirme Pierre-André Aubert.

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Une cuisson lente pour embaumer les papilles

L’ex-ingénieur aéronautique devenu chef-cuistot reconnaît que la cuisine solaire prend « un peu plus de temps que sur une plaque traditionnelle ». Une cuisson lente qui fait partie du concept et permet d’exprimer davantage de saveurs. D’autant que la carte du Présage propose des produits frais, locaux et originaux. On y retrouve même des biscuits et pâtisseries, cuites au moyen d’un four solaire mis à disposition par Solar Brothers. L’appareil concentre les rayons dans une chambre de cuisson, où la température atteint 250 à 300 °C. Accessible au grand public, le modèle est vendu 3 500 €. La guinguette utilise un second four de petit format, utilisé pour torréfier des graines.

Son attirail est complété par un cumulus solaire, qui permettra de fournir de l’eau à 80 °C au lave-vaisselle et aux éviers en cuisine dès sa mise en service. Des équipements coûteux qui n’affectent pas excessivement les tarifs de la carte. Vendue 12 ou 15 €, la barquette (Covid oblige) typée gastronomique offre des aliments de grande qualité en bonne quantité. Les desserts sont à 6 €, soit autant que dans la plupart des restaurants classiques.

Du biogaz produit sur place

Une fourchette de prix qui sera conservée à l’ouverture du nouveau Présage, prévue pour la rentrée 2022. L’établissement a déjà obtenu le permis de construire et devrait lancer le chantier d’ici la fin 2021. Il mène actuellement une levée de fonds pour financer les 1,7 millions d’euros nécessaires à l’achat du terrain, aux études et à la construction. Au solaire thermique et photovoltaïque, le restaurant bioclimatique de 300 m² ajoutera une ressource toute aussi locale et renouvelable : le biogaz.

La guinguette a déjà produit son propre méthane « vert » il y a quelques années, via la fermentation de ses déchets organiques. Selon Pierre-André Aubert, les ordures « de 15 personnes fournissent environ une demi-heure de gaz ». Avec ses 65 à 70 couverts, le futur restaurant devrait donc produire assez d’énergie pour chauffer le fourneau pendant plusieurs heures. Une autonomie bien utile pour compenser d’éventuels épisodes de mauvais temps et prolonger le service au-delà du coucher du soleil.

Une constellation de guinguettes solaires

Les résidus de la méthanisation seront par ailleurs valorisés sur place, pour la fertilisation d’un potager qui doit fournir un quart de ses besoins en légumes. Le terrain de 2 700 m² sur lequel s’élèvera le restaurant devrait tout autant passionner que la cuisine qui y est servie. Il sera aménagé en petite forêt urbaine « comestible » agrémentée de mares permettant d’assainir les eaux grises par phytoépuration.

Le Présage n’abandonnera pas pour autant son concept de guinguette solaire, après l’ouverture du restaurant statique. Pierre-André Aubert imagine une constellation d’établissements éphémères à Marseille et sur le pourtour méditerranéen. Il affirme d’ailleurs avoir été sollicité par des entrepreneurs souhaitant « acheter le concept ». L’idée est particulièrement séduisante car, si l’investissement de départ est coûteux, le restaurant n’a plus aucune dépense énergétique. Fini les factures de gaz, d’électricité et la dépendance aux ressources fossiles et non-locales. Une cuisine zéro-émission aussi saine pour la santé que pour la planète.

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