Fréquemment évoquée par les opposants au nucléaire, la question de la gestion des déchets demeure l’un des défis majeurs de l’industrie. Tandis que les éléments hautement radioactifs seront stockés en couche géologique profonde, d’autres matériaux valorisables s’accumulent dans d’immenses piscines de l’usine de retraitement du combustible de la Hague. En 2023, ces installations étaient remplies à 97 %. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) met ainsi en garde contre le risque de saturation de ces bassins en cas d’aléas.

Après utilisation dans les réacteurs nucléaires, les combustibles usés sont d’abord stockés pour refroidissement dans les piscines des réacteurs pendant plusieurs années. Par la suite, ils sont transférés dans les usines de retraitement d’Orano, à La Hague ou à Marcoule. Ils sont alors transformés en des combustibles appelés « MOX » (mélange d’oxyde de plutonium et d’uranium) qui sont réutilisés par EDF pour alimenter d’autres réacteurs. Cependant, les combustibles MOX usés ne peuvent pas être de nouveau recyclés (du moins, pas encore à une échelle industrielle). Ils sont donc stockés dans des piscines spécifiques dans l’usine de La Hague. Ces bassins reçoivent environ une centaine de tonnes de ces matériaux par an, et à la fin de l’année 2023, ils en contenaient plus de 10 125 tonnes. La saturation de ces piscines représente une préoccupation constante pour l’ASN, car un manque d’espace pour stocker les déchets pourrait potentiellement conduire à l’arrêt des réacteurs.

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Nos réacteurs risquent-ils l’arrêt forcé ?

En 2020, Orano avait évalué que les piscines disposaient encore de 200 emplacements, suffisants pour environ dix années d’entreposage. Leur saturation était donc anticipée vers la fin de cette décennie. Face à cette échéance, EDF a déjà lancé le projet de construction d’une nouvelle piscine, qui ne sera cependant opérationnelle qu’en 2034. Pour pallier la contrainte temporaire, Orano explore plusieurs solutions afin de retarder la saturation. Une des méthodes envisagées est la densification. Déjà approuvée par l’ASN, cette technique consiste à remplacer les paniers actuels (contenant les combustibles usés) par des modèles plus compacts, augmentant ainsi la capacité des bassins de 3 600 tonnes supplémentaires. L’entreposage à sec est également considéré comme une alternative viable.

Malgré ces initiatives, l’ASN reste préoccupée par les risques élevés d’un arrêt forcé des réacteurs en cas d’imprévus. De plus, des difficultés sont rencontrées dans le processus de recyclage de l’usine alors que certains des combustibles MOX sont inutilisables. Ces derniers doivent être stockés directement dans l’eau, augmentant la quantité de combustibles entreposés au-delà des prévisions.

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Une saturation désormais reportée à 2040

Initialement prévu entre 2025 et 2035, l’arrêt de 12 réacteurs nucléaires de 900 MWe alimentés par des combustibles MOX a été reporté par le gouvernement français. Cette décision influence directement la gestion des déchets nucléaires à Orano la Hague, car elle repousse la perspective de saturation des piscines, qui est désormais prévue pour 2040. En prolongeant l’exploitation des réacteurs, les combustibles MOX usés restent dans les réacteurs plus longtemps pour y être refroidis. Leur retrait s’effectue ainsi de manière progressive, et leur accumulation dans les piscines d’entreposage se fait en un rythme plus lent. Si les réacteurs avaient été arrêtés comme initialement envisagé, les combustibles usés devraient être immédiatement retirés et stockés.

Parallèlement, Orano pourrait avoir progressé dans l’industrialisation de la production de combustibles MOX multirecyclé (MR) d’ici la nouvelle échéance. Ce type de combustible, destiné aux futurs EPR 2, fait l’objet de recherches depuis 2017 en vue de développer un procédé de multirecyclage à grande échelle. Un assemblage test du MOX MR est prévu pour être introduit dans un réacteur à eau pressurisée entre 2025 et 2028. Néanmoins, l’ASN reste toujours sur sa position malgré le changement, et rappelle que l’installation de nouvelles capacités de densification et d’entreposage à sec doit rester une « priorité de premier ordre ».

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