Le premier permis d’exploitation pour la séquestration du CO2 dans le sous-sol du plateau continental norvégien vient d’être délivré. Trois géants pétroliers – Equinor (ex-Statoil), Total et Shell – vont investir conjointement 690 millions d’euros dans ce projet baptisé Northern Lights. Jugé par certains comme porteur d’avenir, il est critiqué par d’autres qui le qualifient de véritable usine à gaz.

Egalement appelé CSC (ou en anglais CCS pour Carbon Capture and Storage), le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone est la technique qui consiste à récupérer le CO2 émis par certaines activités industrielles et à le séquestrer, afin de limiter sa contribution au réchauffement climatique dont il est l’une des causes principales. Le CO2 est ainsi capturé à la source, comprimé, transporté par pipeline et confiné dans un lieu de stockage géologique tel que les couches aquifères profondes, les veines de charbon non exploitées ou les gisements de pétrole ou de gaz en fin d’exploitation.

A l’échelle industrielle, il n’existe actuellement dans le monde qu’une vingtaine de sites de captage et de séquestration du CO2 et une trentaine de projets sont en phase de développement. Mais un déploiement plus important de cette technologie est-il souhaitable ?

Northern Lights, un projet titanesque

Le 15 mai dernier, Equinor, Shell et Total ont annoncé leur décision d’investir conjointement dans le projet Northern Lights qui a obtenu le premier permis d’exploitation autorisant le stockage de CO2 dans le sous-sol du plateau continental norvégien.

Le projet est appelé à développer une chaîne commerciale complète, depuis le captage de CO2 sur deux implantations industrielles (la cimenterie Norcel exploitée par Heildelberg à Brevik, et l’incinérateur de déchets Fortum Oslo Varme), jusqu’au transport par bateau puis par pipeline vers un site de stockage sous-marin dans un aquifère salin situé à 3.000 mètres de profondeur sous la mer du Nord.

Ce plan nécessitera la construction de navires spécifiques d’une capacité de 7.000 à 8.000 tonnes, et d’un gazoduc capable de transporter 4 à 5 millions de tonnes par an. A l’avenir il est en effet prévu qu’il achemine aussi du CO2 en provenance d’autres sites industriels.

La décision d’investissement de la part du gouvernement norvégien est attendue avant 2021. L’enfouissement du dioxyde de carbone devrait démarrer en 2024, et atteindre dans un premier temps un rythme de 1,5 million de tonnes par an.

Quels objectifs pour le CCS ?

En Europe, l’objectif est de séquestrer une quantité cumulée de 300 millions de tonnes de CO2 d’ici 2050, grâce à un portefeuille de projets qui, ensemble, permettraient de capter 12 millions de tonnes de CO2 par an.
Au niveau mondial, ce sont aujourd’hui 30 à 40 millions de tonnes de CO2 qui sont captées chaque année.

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) table sur 2 milliards de tonnes stockées d’ici 2040. Mais en 2015 elle déclarait qu’il faudrait en séquestrer 120 milliards de tonnes à l’horizon 2050 pour espérer endiguer le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés d’ici la fin du siècle.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Les associations environnementales sont farouchement opposées à la technique du CCS. Elles dénoncent une méthode non seulement coûteuse et inefficace dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais surtout dangereuse. Le stockage du CO2 dans des formations géologiques à 1.000 ou même 3.000 mètres de profondeur présente des risques d’acidification des eaux, de remontée gazeuse ou de libération brutale de grandes quantités de dioxyde de carbone à la surface.
Ces ONG pointent également du doigt une technologie qui n’aurait d’autre but que de légitimer la poursuite du recours aux énergies fossiles.

A l’heure actuelle, seuls environ 180 millions de tonnes de CO2 ont été stockés, soit à peine 0,15% des 120 milliards de tonnes qu’il faudrait séquestrer d’ici 2050. Et actuellement l’humanité produit annuellement l’équivalent de 37 milliards de tonnes.

Le problème principal est celui du marché du carbone qui n’a jamais décollé : la tonne de CO2 se négocie aujourd’hui autour de 25 €, alors que le coût du CCS est estimé entre 60 € et 90 € la tonne.
En outre, pour espérer maintenir le réchauffement climatique en-dessous des 2 degrés, il faudrait 100 fois plus de projets CCS d’ici 2050.

Et pourtant, c’est l’une des solutions préconisées par les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ainsi que par l’AIE.
L’agence internationale de l’énergie estime que le CCS pourrait contribuer à hauteur de 13% aux objectifs de réduction du CO2 d’ici 2050, dans le scénario d’un réchauffement de 2 degrés.

Capture et injection souterraine de CO2 sur le site de la centrale géothermique de Hellisheidi en Islande