Karim Megherbi a occupé diverses fonctions dans les secteurs de l’énergie en tant que banquier en financements structurés, développeur, investisseur, conseiller. Il dirige aujourd’hui une plateforme d’origination de projets, active en Asie, Afrique et Europe, et collabore également avec les institutions internationales, notamment l’AIE et l’IRENA, au sein de groupes de travail sur les sujets de la transition énergétique. Il fait aussi partie d’un Think Tank actif sur la région MENA : Dii Desert Energy. Il nous propose aujourd’hui une tribune sur le débat qui oppose fréquemment les partisans du nucléaire et ceux des énergies renouvelables.

Devons-nous en France arbitrer entre nucléaire et énergies renouvelables ? Voici la question que l’on entend encore parfois dans les débats publics. Le développement de l’une ou l’autre technologie devrait alors tracer des évolutions sociétales et industrielles radicalement différentes entre elles.
Le débat ainsi posé, entraîne naturellement des positions extrêmes, entre le souhait d’un arrêt brutal du nucléaire, et des propositions de nouveau plan Messmer, avec plusieurs dizaines de réacteurs qui seraient construits d’ici 2050. Certains, plus modérés – à priori la majorité de la population française – se disent qu’il faut un peu des deux. D’autres encore sont contre les éoliennes, ou contre le solaire, voire contre toute forme d’énergie, préférant la sobriété.
En réalité les termes de ce débat sont mal posés : la notion de « temps » est la grande oubliée des analyses.

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Ruptures de tendances

Nous séparer des fossiles, demande une stratégie à deux axes indissociables : baisser nos consommations énergétiques, et remplacer les fossiles  majoritairement par de l’électricité décarbonée dont la production va augmenter, le reste étant complété par de la biomasse (gaz vert, biocarburant, bois-énergie). Puisqu’il nous reste peu de temps pour achever ce travail titanesque, toutes les solutions vont devoir se déployer massivement, et rapidement, entrainant des ruptures de tendances historiques.

Par exemple, alors que notre consommation énergétique baissait de 0.5% par an depuis le début des années 2000, il faudra maintenant que celle-ci baisse de 1.8% par an, soit 3,5 fois plus rapidement. Cette baisse, se fera au travers de l’électrification – les procédés électriques étant généralement plus efficaces que les procédés thermiques fossiles – de l’efficacité énergétique, et de la sobriété.

En parallèle, alors que notre demande en électricité stagnait depuis 20 ans environ, celle-ci va maintenant augmenter fortement ; selon les scénarios entre 35% et 60% d’ici 2050. Quelles sont alors nos options pour couvrir cette hausse de la demande électrique ?

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Aucun nouveau réacteur avant 15 ans

La réponse est finalement assez simple : entre 2020 et 2035 voire 2040 (soit une durée de 15 à 19 ans), nous ne verrons aucun nouveau réacteur nucléaire se raccorder à notre réseau, du fait des temps de construction, en dehors du réacteur EPR de Flamanville de 1.6 GW (2.5% de la production actuelle).
Il n’y a donc ici aucun arbitrage à faire : les renouvelables seront notre seul outil de décarbonation pendant cette période. Un rapide calcul permet de comprendre l’enjeu : ces 15 à 19 ans, représentent entre 51% et 69% du temps restant jusque 2050 pour arriver à ne plus émettre de carbone.

L’arbitrage, porterait donc sur cette seconde période représentant 31% à 49% du temps restant. Or ici aussi nous avons certaines contraintes. La filière nucléaire, a proposé un maximum de 14 EPR à construire d’ici 2050, chiffre qui pourra évoluer en fonction des retours d’expérience des premières constructions. Mais nous pouvons déjà partir sur ces bases.

Etant donné les faibles retours d’expérience de nos EPR (seulement 6 constructions lancées depuis 2005 dans le monde, dont seulement 2 réacteurs en exploitation depuis 2-3 ans, l’un étant actuellement à l’arrêt pour maintenance), et en tenant compte des difficultés connues lors de plusieurs chantiers, comme celui de Flamanville, il est évident que les 14 EPR devront se construire progressivement, en fonction des retours des premières constructions.

C’est d’ailleurs l’approche retenue par le Président de la République lors de son discours à Belfort : nous pourrions lancer la construction des 6 EPR, dont le dossier technique est quasi finalisé, et des études pour 8 EPR additionnels. La décision sur ces 8 EPR se prendra ultérieurement.

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Quels choix nous reste-t-il ?

Quant à la prolongation de nos centrales au moins à 50 ans, voire jusque 60 ans pour celles qui le peuvent, l’étude de RTE indique qu’il s’agit d’une décision « sans regret », qui non seulement sécurise nos trajectoires climatiques mais également permet de baisser les coûts d’investissement dans notre système électrique. Ces prolongations devront toutefois se faire sous conditions de validation de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire), ainsi que dans le cadre de la gestion de l’effet falaise[1], qui nous oblige à un déclassement progressif de nos réacteurs.

Finalement quels choix nous reste-t-il ? Celui de construire ou non 6 EPR, ainsi que de bâtir des trajectoires permettant de laisser la possibilité de construire ou non 8 nouveaux EPR dans le futur. Tout le reste, ce sera des énergies renouvelables.

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[1] « L’effet falaise » désigne la très rapide diminution du parc des centrales nucléaires françaises, si on part du principe qu’elles devront être mises hors service à un âge fixe, identique pour toutes. La raison est tout simplement qu’elles ont, pour la plupart, été construites en très peu de temps, entre 1980 et 1992.