Alors que les députés examinent le projet de loi du gouvernement permettant d’accélérer le développement du nucléaire en France, l’utilisation des ressources en eau par les centrales nucléaires fait actuellement l’objet d’un vif débat.

Selon la secrétaire nationale d’Europe-Écologie Les-Verts (EELV) Marine Tondelier, « près d’un tiers de l’eau consommée sert au refroidissement des centrales nucléaires », mais ce chiffre est contesté par la rapporteuse du projet de loi Maud Bregeon (Renaissance). Qui a raison et qui a tort ? Comme souvent, les choses sont plus complexes qu’elles ne paraissent.

Consommation d’eau des centrales nucléaires : qui dit vrai ?

S’il provient d’une source gouvernementale, le chiffre de 31 % de consommation d’eau avancé par EELV vient d’être remis en cause par le ministère de la Transition écologique (qui a donc contesté son propre chiffre), en estimant que les données étaient datées et surévaluées. Le ministère s’appuie sur les récentes estimations de la SFEN qui donnent ainsi un bilan plus contrasté que ce qu’affirme EELV : « Au total, le bilan de la consommation d’eau pour les 30 réacteurs concernés (en circuit fermé) est de 550 millions de m3/an, soit 20 % du bilan de consommation de l’eau en France, derrière l’irrigation (48 %) et la consommation d’eau potable (24 %). »

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Enfin, le Conseil d’État avançait, en 2010, le chiffre de 22 %. Si l’on veut rester prudent, on peut dire que la consommation d’eau réelle des centrales françaises est donc en dessous de 25 % de la consommation totale, ce qui est comparable à la consommation d’eau potable, mais bien inférieur à celle de l’agriculture. Par ailleurs, la consommation d’eau dépend du type de système de refroidissement utilisé. En effet, il existe 2 configurations, en cycle fermé et en cycle ouvert. Or, la France dispose des deux systèmes, en quantité équivalente : 26 réacteurs en circuit ouvert et 30 réacteurs en circuit fermé.

Pour comprendre la différence, il faut tout d’abord distinguer l’eau prélevée dans la nature, ensuite rendue, de l’eau réellement consommée, c’est-à-dire celle qui s’échappe en vapeur des tours aéroréfrigérantes des centrales en cycle fermé.

Le refroidissement en circuit ouvert

Selon le rapport de RTE « Futurs énergétiques 2050 », en circuit ouvert, l’eau froide pompée dans un fleuve ou dans la mer sert à refroidir le circuit secondaire à travers le condenseur. Le mode de fonctionnement en circuit ouvert a ainsi l’avantage d’avoir une consommation d’eau nette quasi nulle, car l’eau est rejetée dans la nature. En revanche, il présente aussi des inconvénients majeurs.

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D’une part, si la consommation d’eau nette est négligeable, dans le cas d’un refroidissement en circuit ouvert, ce type de réacteur mobilise néanmoins de grandes quantités d’eau, de l’ordre de 55 à 200 m³ par seconde, d’après un récent rapport d’information du Sénat. D’autre part, l’eau rejetée dans la nature a une température nettement plus élevée que celle prélevée, ce qui est problématique, surtout dans un contexte de sécheresse.

Pour limiter l’impact sur l’environnement, des températures maximales sont définies pour chaque centrale par l’ASN, conformément aux normes européennes ¹, ce qui peut obliger les centrales à réduire, voire à arrêter leur production d’énergie électrique lorsque ces normes risquent d’être dépassées.

Le refroidissement en circuit fermé

L’autre mode de refroidissement, en circuit fermé, concerne les centrales à tours aéroréfrigérantes (les fameuses cheminées), situées en bord de fleuve pour ce qui est de la France. Si cette méthode de refroidissement entraîne une consommation d’eau de l’ordre de 20 à 40 % du volume prélevé, ce volume est en revanche bien moins important que dans le cas d’un circuit ouvert : seulement quelques mètres cubes par seconde.

Comparaison de la consommation d’eau de 2 centres nucléaires de production d’électricité (CNPE) de 2 × 1 300 MW, en circuit ouvert (à gauche) et en circuit fermé (à droite) / Infographie : Sénat.

Finalement, en considérant l’ensemble du parc nucléaire français, 98 % de l’eau prélevée est donc bien restituée à la nature, selon la SFEN.

Peut-on réduire la consommation des centrales en circuit fermé ?

D’après une équipe de chercheurs du MIT, c’est tout à fait envisageable, une solution de recyclage de l’eau évaporée par les centrales étant à l’étude. Celle-ci permettrait ainsi de réduire la consommation d’eau de 20 %. La raréfaction de l’eau et les sécheresses à répétition auront dans tous les cas un impact sur la disponibilité des centrales actuelles. La sensibilité des réacteurs nucléaires aux variables météorologiques, c’est-à-dire essentiellement la température et le débit des rivières, dépend de 2 facteurs : leur situation géographique d’une part et la nature de leur système de refroidissement d’autre part.

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Bien que les centrales en circuit ouvert restituent la totalité de l’eau prélevée, à moyen terme, on peut s’interroger sur la pérennité de centrales prélevant beaucoup d’eau et rejetant une eau plus chaude, dans des zones à fort risque de sécheresse, compte tenu de l’impact potentiellement néfaste pour la faune et la flore. C’est pourquoi, pour ce qui est des futures centrales nucléaires, RTE ² préconise de les installer de préférence en zone littorale, pour éviter tout risque d’assèchement des cours d’eau et ainsi limiter les risques d’arrêts de production toujours plus fréquents.

¹ 28° C maximum et un écart de 3° C maximum (échauffement amont/aval) par rapport à la température du cours d’eau en amont. Des dérogations peuvent néanmoins être appliquées, comme ce fut le cas pour la centrale du Bugey en juillet 2022.
² cf. rapport de RTE « futurs énergétiques 2050 », pages 410 à 415