Un second réacteur modulaire avancé (AMR en anglais) de 4ᵉ génération refroidi par hélium a été mis en service en Chine. C’est une grande avancée technologique pour ce type de réacteur à haute température (HT), domaine dans lequel l’Allemagne était jadis pionnière. Il utilise la technologie à « lit de boulets », censée apporter sûreté, modularité et permettrait, au-delà de la production électrique, de fournir de la vapeur industrielle et du chauffage urbain bas-carbone. Mais comment fonctionne-t-elle ?

À Rongcheng, dans la province chinoise de Shandong, c’est l’aboutissement de longues années de recherche menées par l’Institut Technologique de l’Énergie Nucléaire (INET). Le réacteur nucléaire haute température à lit de boulets HTR-10 était le prototype de 10 mégawatts électriques (MWe) et le HTR-PM en est la version industrielle chinoise, avec 200 MWe. « L’exploitation commerciale de la centrale de Shidao Bay a officiellement débuté », a rapporté l’agence officielle Chine nouvelle ce mercredi 6 décembre. Alors que les réacteurs à haute température étaient chasse gardée des occidentaux, les choix technologiques et politiques n’ont pas été concluants. En veut pour preuve l’abandon du réacteur Haute température (HT) allemand au thorium construit en 1983 et mis à l’arrêt en 1988 à la suite de certaines déconvenues.

La nouvelle centrale chinoise a vu sa première tranche connectée au réseau en 2021. Désormais, ses 250 mégawatts thermiques (MWth) pourront apporter vapeur industrielle, chauffage proche des villes (et non délocalisé comme les centrales nucléaires françaises qui doivent laisser s’échapper la chaleur fatale). Elle était initialement conçue pour rendre des services semblables aux turbines à gaz, avec laquelle elle est couplée et peut aussi participer à la production thermochimique d’hydrogène. Par sa conception, le petit réacteur modulaire (SMR en anglais) a l’avantage de coûter moins cher (car compact et simplifié) et de recourir à des matériaux et technologies dont la Chine se targue d’être souveraine à hauteur de 90 %.

Schéma d’un réacteur nucléaire à lit de boulets et détail d’un combustible boulet.

Le réacteur nucléaire à lit de boulets décortiqué

Le HTR-PM chinois mis en service se différencie de certains projets de petits réacteurs nucléaires (SMR) phares français en développement, à savoir Nuward côté EDF, ou encore la startup tricolore Jimmy. Le réacteur modulaire avancé (AMR en anglais), a pour caractéristique d’utiliser des particules de combustible sous forme de boulets en guise de source d’énergie nucléaire. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) explique le déroulement de la production : les boulets combustibles sont chargés en vrac dans la cavité du réacteur par le haut, déchargés par le bas, et ce, en boucle jusqu’au remplacement lors de leur épuisement. Ces boulets sont assemblés à partir des produits fissiles (UO2 enrichi à seulement 20 %) retenus dans 3 couches protectrices.

Les produits de fission ne peuvent pas s’échapper en dessous de 1 800 °C, car la température de fonctionnement se situe sous la limite de stabilité d’une des couches (SiC) qui enrobent les produits fissiles. Ils sont mélangés à de la poudre de graphite (modérateur) car c’est justement l’élément dont la protection des boulets a besoin : il a des caractéristiques remarquables parmi lesquelles une bonne propriété neutronique (absorbe peu les neutrons, responsable de la fission des noyaux, donc de la réaction nucléaire), un faible prix ainsi que de bonnes propriétés thermiques et mécaniques sous irradiation.

Ces petits boulets sont conditionnés sous forme de petites sphères de 6 cm de diamètre. Cette forme leur permet de maximiser l’échange thermique avec l’hélium, fluide caloporteur. Quant aux réacteurs français à eau pressurisée (REP), ils utilisent de l’eau pour remplir ce rôle. De symbole chimique He, l’hélium est un gaz dont les propriétés satisfaisantes de conduction et transfert de chaleur représentent un avantage : il n’interfère que peu avec les neutrons. C’est une qualité, car le fluide circule directement dans le cœur là où la réaction se produit. Grâce à sa propriété non métallique, il pourra monter plus haut en température : jusqu’à 700 °C lui sont imposés dans le cœur. À ce palier haut, il reste liquide sans changer de phase.

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Un réacteur plus sécuritaire qui peut être installé proche des villes

Son fonctionnement physique intrinsèque permet au HTR-PM de jouir d’un avantage majeur : il est plus performant que les réacteurs de 3ᵉ génération. La densité de puissance (2 MW/m3) n’a rien à voir avec les réacteurs à eau pressurisée français (100 MW/m3). Les sphères de graphite augmentent la surface de contact avec l’hélium pour favoriser les échanges thermiques et leur répartition en milliers de petites boules disperse la contrainte thermique.

Le design ne comprend donc pas « les systèmes sophistiqués de vapeur et de refroidissement utilisés dans les centrales fossiles et nucléaires mais génère plus d’énergie que les centrales nucléaires existantes à consommation de carburant et déchet identique », explique l’office d’information scientifique et technique, bureau des sciences du département américain de l’énergie. Ce même organe scientifique explique que « le haut niveau de sûreté en comparaison aux centrales nucléaires existantes leur permet d’être localisés près des villes, usines chimiques, raffineries pétrolières pour réduire la consommation d’énergies fossiles. »

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Les réacteurs nucléaires actuellement installés en France utilisent la redondance des systèmes de refroidissement. Une thèse rédigée par Maurice Grimod nous apprend que le « seul » accident qui puisse arriver vient de la chaleur émise par la désintégration des produits de fission après que la réaction ait été stoppée. Or, dans la technologie HTR, le refroidissement de la chaleur résiduelle post-réaction est indépendant des conditions de refroidissement du réacteur. En effet, ce type de réacteur a la particularité, par sa conception physique, de s’arrêter de manière inhérente grâce au coefficient modérateur négatif dû à la présence d’hélium. C’est seulement si de l’eau liquide intègre le cœur, par accident, que ce coefficient de vide (autre appellation pour même signification) peut devenir positif à cause d’une surpression transformant l’eau liquide en vapeur, augmentant ainsi la réactivité. C’est ce qui est arrivé à Tchernobyl. De ce fait, il n’a pas ou peu besoin de systèmes de redondance pour refroidir le cœur comme ceux que l’on retrouve chez les REP.

Enfin, l’efficacité de la conversion de l’énergie thermique libérée par les produits de fission en énergie électrique en sortie de turbine est plus importante sur ces réacteurs que sur les REPs actuels. Sans compter sur la chaleur résiduelle qui est plus facilement captable sur ces petits réacteurs.

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La France opte pour les SMR malgré son retard

« Ces nouvelles générations de réacteurs rencontrent un fort engouement mondial », note Orano. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recense plus de 80 projets de SMR et AMR dans le monde, en 2022. C’est près d’1 milliard d’euros du plan de relance qui y sont alloués, car la France a compris la promesse d’une électricité bas-carbone, sûre, compétitive et produite localement. Dessaler l’eau de mer, décarboner la production d’hydrogène, entre autres, sont autant de possibilités offertes par les nouveaux réacteurs. Le CEA note que ces technologies sont adaptées pour les industriels, plus que les groupes électrogènes, et qu’il n’y a pas besoin d’attendre le dihydrogène pour produire de la chaleur décarbonée dans un contexte de prix hauts du pétrole et du gaz.